Un maître de l’ukiyō-e : Hokusai

Conférence
“Les amis des musées de Niort”
Musée Bernard d’Agesci
26, avenue de Limoges
79000 Niort
1er octobre 2019

Que dire de ce lieu de culture qu’est le Musée Bernard d’Agesci, sinon une vitalité exemplaire, associée à celle du Musée du donjon, principalement dans bien des domaines liés à l’histoire locale d’un passé riche de ses arts et industries, mais pas seulement…

Sous la grande vague au large de Kanagawa
xylographie – [1831]Katsushita Hokusai

Comme celle de la découverte de l’estampe japonaise, au travers de la rencontre d’un artiste qui s’y incarne particulièrement : Katsushita Hokusai [1760-1849], le Vieux fou de dessin. L’artiste de “Sous la grande vague au large de Kanagawa” [1831], l’un des grands chantres de l’Ukiyō-e, de ces “images du monde flottant”, qui allaient influencer de nombreux artistes européens (Bracquemond, Cézanne, Camille Claudel, Debussy, Monet, Rousseau – le céramiste -, Van Gogh) et séduire des personnalités comme Siegfried Bing, le grand marchand d’art, ou les Goncourt. Rappelons que Ukiyō-e est une expression provenant d’un livre du XVIIIe siècle, d’Asai Ryōi : “Contes du monde flottant”, qui en donne la définition : « Vivre uniquement le moment présent, se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier et de la feuille d’érable (…), ne pas se laisser abattre par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître sur son visage mais dériver comme une calebasse sur la rivière, c’est ce qui s’appelle ukiyō. »

Pour cette évocation, axée sur Hokusai “Les amis des musées de Niort” avaient invité Cyril Herrou, guide-conférencier indépendant, créateur du projet “De Art à Z”. Ce fut passionnant et, durant près de deux heures illustrées de belles reproductions, on découvrit la vie de cet homme exceptionnel, auteur de plus de 30 000 dessins, Hokusai, et qui rencontra le succès, vers 1833, notamment avec la parution des “Trente six vues du Mont Fuji”, et sa Manga (15 volumes et plus de 4 000 dessins). Le conférencier nous fit découvrir six des principaux noms d’artiste (sur près de 120) dont il se qualifia au long de sa vie : Shunrō, Sōri, Katsushika Hokusai, Taitō, Litsu, Gakyo Rojin Manji, son ultime signature : ”Le Vieux fou de peinture”, et des xylographies en correspondance.

Le monde de la nature, comme il en fut déjà pour Kitagawa Utamaro [≈1753-1806], peintre de la femme, et en sera pour Utagawa Hiroshige [1797-1858], a toujours été l’un de ses sujets favoris. Les descriptions commentées de nombre de ses œuvres rendent le parcours artistique de Hokusai d’une grande lisibilité. Dans la postface de “Cent vues du mont Fuji” [1834-1835], Hokusai se décrit ainsi : « Dès l’âge de six ans, j’ai commencé à dessiner toutes sortes de choses. À cinquante ans, j’avais publié de nombreux dessins, mais rien de ce que j’ai fait avant ma soixante-dixième année ne mérite vraiment qu’on en parle. C’est à soixante-treize ans que j’ai commencé à comprendre la véritable forme des animaux, des oiseaux, des insectes et des poissons, et la nature des plantes et des arbres. Ainsi, à quatre vingt-six ans, j’aurai encore progressé. À quatre-vingt-dix ans, j’aurai pénétré plus avant l’essence de l’art. À cent ans, j’aurai peut-être atteint vraiment le niveau du merveilleux et du divin. Quand j’aurai cent dix ans, chaque point, chaque ligne de mes dessins possédera sa vie propre. Signé : Manji, le vieil homme fou de dessin ».

Mais éclipsé, quelques années plus tard, par le succès des “Cinquante-trois relais du Tōkaidō” de Hiroshige, il mourut dans la misère. Et, comme le précise Cyril Herrou, évoquant la fin d’Hokusai, selon sa biographie publiée en 1893 par Iijima Kyoshin, son désir insatiable de progresser dans son art semble l’avoir taraudé jusque sur son lit de mort, où il aurait prononcé cette phrase teintée d’humilité et de regrets : « Si le ciel m’avait accordé encore dix ans de vie, ou même cinq, j’aurais pu devenir un véritable peintre. » Quelle modestie ! On sortit fasciné par cette évocation brillante, bien documentée, où la xylographie japonaise, dans son essence, montra toute son originalité et sa beauté.

Gérard Robin