Vue partielle de l’exposition le 16 septembre 2021 (Cl. M. Préaud)
La « Fête de la gravure de Liège », qui se déroule depuis plus de trente années dans la grande cité belge, a été en quelque sorte lancée cette année par l’exposition de la « Triennale internationale de gravure contemporaine » qui a été inaugurée le jeudi 16 septembre et se tiendra jusqu’au 17 octobre 2021 au musée de La Boverie.
Avant d’être une exposition, la Triennale est un concours entre faiseurs d’estampes (ou stampassins) venus de tous les horizons. Une première sélection sur 470 dossiers ( !) a été opérée, conservant les œuvres de 49 artistes parmi lesquels un jury international a été invité à élire un lauréat. Ce jury s’est réuni le mercredi 15 septembre sous la présidence de Fanny Moens (prononcer Moun’s), conservatrice au musée des Beaux-arts de Liège et organisatrice de la manifestation. Il comprenait Catherine de Braekeleer, conservatrice honoraire du Centre de la Gravure et de l’Image imprimée de La Louvière, en Belgique ; Eugenia Griffero Fabre, directrice des projets internationaux du « Festival internacional de Grabado » de Bilbao, en Espagne ; Slobodan Radojkovic, peintre et graveur venu de Belgrade, en Serbie ; enfin votre serviteur, peintre et graveur, mais là surtout en tant que conservateur honoraire au département des estampes de la BnF ; une cinquième jurée devait venir du Cabinet cantonal des estampes de Vevey, mais elle n’a pu être présente.
Le jury a pu voir les estampes « en vrai » (ce n’est pas le cas pour tous les concours) présentées sur les cloisons du musée. Je dois dire que l’exposition est passionnante, et que les œuvres sont en général de belle qualité. La discussion a été longue et animée, mais toujours correcte. Nous avons fini par nous mettre d’accord sur deux noms, dont je peux affirmer que nous n’avons appris qu’à la fin qu’ils étaient tous les deux belges, et que ce n’est pas le terrain, comme pour une équipe de football, mais une espèce d’évidence qui les a avantagés : la lauréate principale est Camille Dufour, et son second est Roman Couchard.
Camille Dufour (née à Mons en 1991) présente une grande estampe gravée en bois en 2019, mesurant 2100 x 1220 mm, intitulée Lavandière de nuit ♯ 1. Le sujet est un montage de scènes quelque peu rudes entre la destruction de la tour de Babel et l’attentat sur les Twin Towers, le tout surmonté d’un champignon atomique qui coiffe l’apparence d’un crâne humain. L’estampe est accompagnée de la planche de bois, ainsi que de toute une série d’épreuves qui en sont tirées successivement après la première, perdant de leur teinte au fur et à mesure que, pour justifier le titre de l’œuvre, l’artiste en frottait le verso avec un bloc de savon d’Alep qui faisait office de baren. (NB Alep, on fait fort dans le symbole et le concept, chez ces jeunes gens.)
Camille Dufour, Lavandière de nuit ♯ 1, la planche, encrée (Cl. M. Préaud)
Camille Dufour, Lavandière de nuit ♯ 1,
l’estampe, et ses déclinaisons (Cl. M. Préaud)
L’estampe est remarquable. On pourrait (je pourrais) discuter non de la thématique mais de ses éléments. En effet, doit-on mettre sur le même plan la tour de Babel et les Twin Towers, détruites la première par le dieu supposé d’Israël ─ opération à laquelle nous sommes redevables, entre autres choses, de notre difficulté à apprendre l’anglais et le finnois ─, et les secondes par la connerie méchante ?
Le jury n’ayant pu se mettre d’accord sur un nom seulement, celui de Roman Couchard (né à Verviers en 1994) s’est imposé au moins comme second, avec une très grande estampe en plusieurs feuilles (956 x 5670 mm) gravée à la pointe sèche dans le plexiglas en 2018, montrant un immense bâtiment désaffecté, intitulée Preventorium.
Roman Couchard, Preventorium (Cl. M. Préaud)
Roman Couchard, Preventorium, détail (Cl. M. Préaud)
Le point commun entre les deux lauréats, c’est la guerre, la destruction. C’est de l’estampe noire, en noir. Il faut dire toutefois que les autres candidats n’ont pas présenté d’œuvres spécialement rigolotes. On est dans l’air du temps occidental, voire septentrional, sinistre ; à la différence des mondes oriental et austral, qui sont tellement marrants.
Toutes les techniques ou presque sont représentées, y compris le numérique. Il y a beaucoup de grands formats, un certain nombre de pièces en trois dimensions parfois très volumineuses (je m’interroge toujours : ces pièces-là sont-elles faites uniquement pour des manifestations de ce genre, ou bien trouvent-elles un public de particuliers susceptibles de les acquérir et de les exposer dans leur spacieuse salle de séjour ? Et je ne parle même pas de la difficulté de les conserver en bon état, sachant par expérience que plus une estampe est grande, moins elle a de chances de survie). Mais il y a aussi d’assez nombreux exemples d’images d’un format tout à fait raisonnable.
Je renvoie au catalogue très bien fait et joliment présenté, coordonné par Fanny Moens, chaque artiste bénéficiant d’au moins une reproduction. Il fait l’objet du n° 80 (septembre 2021) du Bulletin des musées de la Ville de Liège, cf. museum@liege.be
Au-delà du musée de La Boverie, la ville de Liège développe, et ce depuis plus de trente ans, une « Fête de la Gravure », à laquelle participent, en 25 lieux différents, les galeries d’art, les écoles, les ateliers et les associations. Voir www.lesmuseesdeliege.be/sam et 32(0)4 221 68 32 ou 37. Liège n’est qu’à deux heures de Paris en train, ça vaut la peine.
Maxime Préaud