Une collection s’expose

Une vue de l’exposition (Cl. Gallix)

« Animaux et Graveurs / Gravures de collection »
Exposition d’estampes
23 janvier au 15 avril 2921
Gallix
5 rue Pierre Sémard 75009 Paris

« Nos amies les bêtes / Nos amis les graveurs », ainsi, naïvement, pourrait s’intituler l’exposition présentée par Bertrand Renaudineau et Laurence Paton dans l’espace annexe des bureaux de la société Gallix, bien connue par ailleurs pour la remarquable suite de films sur l’estampe qu’elle réalise et produit (cf. mon article « Gallix, des films sur l’estampe », Arts et Métiers du livre n° 339 – juillet-août 2020 –, p. 39-45). Mais c’est sous le titre plus sérieux d’« Animaux et Graveurs / Gravures de collection », que s’est ouverte le samedi 23 janvier 2021 et ce jusqu’au samedi 6 février inclus cette manifestation installée dans le local qui a naguère abrité momentanément l’association Manifestampe. Toutes les pièces sont tirées de la collection de Gallix, et témoignent d’un goût éclectique qui s’étend alphabétiquement de Ash à Velly, chronologiquement de Max Klinger à Pablo Flaiszman et zoologiquement avec une prédilection (des artistes ou des collectionneurs, la question est ouverte) pour l’âne, star incontestée de l’exposition.

« Le massacre de la rue Transnonain » d’Honoré Daumier
(Cl. Congress Library)

En même temps Gallix présentera le dernier film de la série Impressions fortes : « Le massacre de la rue Transnonain » 1 d’Honoré Daumier, film de 47 minutes réalisé en vidéo HD par Bertrand Reneaudineau et Gérard-Émmanuel da Silva, et la lithographie de Quentin Préaud : « En attendant le grand soir », composée pour cette occasion.

« En attendant le grand soir » de Quentin Préaud (Cl. Gallix)

Le port du masque est obligatoire. Pour respecter la distanciation en vigueur, le nombre de visiteurs sera limité et nous pouvons être amenés à vous demander de patienter. Ensuite, les visites auront lieu du mardi au samedi de 14h à 18h. Si vous le désirez, vous pouvez prendre rendez-vous par mail ou téléphone avec Bertrand Renaudineau (06 08 92 19 05)

Maxime Préaud

1 Célèbre lithographie d’Honoré Daumier. À la suite de l’insurrection parisienne des 13 et 14 avril 1834, les occupants du 12, rue Transnonain (située à l’angle de l’actuelle rue Beaubourg et de la rue de Montmorency) sont massacrés par la troupe en représailles d’un coup de feu qui aurait été tiré d’une maison voisine sur un officier. Publiée dans la presse et exposée, la lithographie de Daumier, qui entend témoigner et protester contre cette sanglante répression, donne un immense retentissement à l’événement et constitue un sommet dans l’art d’Honoré Daumier.

Petite odyssée

« Reci » de Jérémie Salomon, rizographie (Cl. Galerie Jahidi)

Toujours en quête d’estampes à regarder, par les temps moroses que nous traversons, le réseau Internet, malgré les réticences et les précautions exprimées dans mon précédent écho, présente pour cela quelques ressources à ne pas négliger. Armé du fouet d’Indiana Jones et de la ruse d’Ulysse, il est vivement conseillé d’entreprendre une telle navigation afin d’emplir les longues soirées d’hiver pendant le deuxième couvre-feu.

Le site de Manifestampe offre, dans la liste de ses membres qui ont adhéré à la fédération, plus de cinq cents môles d’embarquement vers des sites dédiés à l’estampe. Ici, le navigateur novice se trouve confronté à l’embarras de choix délicats car, quelquefois, le début du voyage le mène vers quelques liens brisés ou bien vers la fatidique erreur 404 (la page que vous demandez n’est pas disponible…), tous récifs redoutés des marins chevronnés. Malgré ces aléas peu nombreux, dus à un défaut de mise à jour par le propriétaire négligent du môle, une petite odyssée bien choisie s’avère passionnante et capable de peupler la tête de nombreux imagos de belle estampe.

Dans le livre de bord de ce périple, on peut signaler quelques pages qui offrent sans parcimonie de quoi rassasier les regards. Celles ouvertes par les galeries sont les plus abondantes d’imagos toujours traités avec le respect qui se doit. En voici quatre d’entre elles avec, en bonus, une bouteille jetée à la mer.

La plus vénérable mais néanmoins très active a été fondée en 1881. Dénommée maintenant Galerie Sagot-Le Garrec, elle est dirigée par Nicolas Romand. Sise au quartier Latin à Paris, elle possède un fonds très important d’estampes patrimoniales, modernes et contemporaines dont la visite vaut, comme on écrit dans le guide pneumatique, le détour.

« Blés primitifs en Velay » d’André Jacquemin
(Cl. Galerie Sagot-Le Garrec)

Une parmi les plus jeunes galeries a été ouverte en 2012 par Ghizlaine Jahidi, qu’elle a dénommée simplement Galerie Jahidi. Celle-ci s’attache à promouvoir de jeunes artistes stampassins qui se lancent dans l’exploration, hors des sentiers battus, de ce médium qu’est l’estampe. Quand on y accoste, on se réserve bien des surprises.

La troisième, plus pluridisciplinaire, consacre une large part de son fonds à l’estampe et aux livres d’artiste que l’on peut découvrir sur son stand au Salon Page(s) quand il reprendra sa course. Dirigée par Évelyne Schumm-Braunstein, cette galerie éponyme promeut des artistes qui ne sont pas stampassins première langue. Ainsi, perçoit-on ici les différentes facettes expressives dont usent certains que l’on connaissait seulement comme stampassines ou stampassins. Une escale à partir de ce môle s’impose.

« Nudo » de María Chíllon, burin (Cl. Galerie Schumm-Braunstein)

Hasard des fortunes de mer, une galerie d’outre-Atlantique et même d’outre-Pacifique mérite plus qu’un détour. Il s’agit de The Annex Galleries, étatsunienne fondée il y a cinquante ans en Californie. Dotée d’un fonds considérable, elle se consacre aux estampes du monde entier et du XIXe, XXe et XXIe siècles avec une prédominance pour son fonds américain. Chaque estampe répertoriée dans ses pages, en deux formats d’imago, bénéficie d’une notice circonstanciée et exhaustive et pour de nombreux artistes d’une courte biographie. On peut appeler sur nos écrans ces estampes par technique, par artiste ou par continent. Une escale qu’il faut garder précieusement dans la mémoire de nos portulans.

Enfin, comment ne pas conclure sur la bouteille à la mer qui vient de s’échouer sur la plage de nos écrans. Celle de l’exposition virtuelle du Salon d’automne 2020 qui devait se tenir les 17 et 18 octobre 2020 et qui a été annulé à cause de Confinement II. Dans sa section Gravure, on peut y admirer un imago de chacun des trente-six exposants ainsi que celui d’un hommage à Jacques Houplain (1920-2020). Mais il vaut mieux pour y naviguer se munir d’une embarcation du dernier cri, reliée à un réseau qui ne soit pas cacochyme. Bon vent alors dans toutes ces odyssées stampassines où il est nécessaire de bien choisir ses cartes afin de tracer ses propres routes dont celle publiée ici veut rester un simple choix personnel parmi toutes les possibles.

Claude Bureau

Autoportrait camouflé ?

« La Fuite en Égypte » de Rodolphe Bresdin (Cl. Maxime Préaud)

J’étais tranquillement assis à mon bureau, en train d’écrire à Claude Bureau, justement, par une tristounette après-midi d’hiver (le lundi 18 janvier 2021 pour être exact et précis), lorsque je fus frappé par une brutale révélation. Je m’apprêtais à me remettre à la rédaction d’un texte sur Rodolphe Bresdin qui m’a été récemment commandé. Le catalogue que j’avais rédigé de l’exposition présentée à la Bibliothèque nationale de France à l’été 2000 (Rodolphe Bresdin (1822-1885), Robinson graveur. Catalogue par Maxime Préaud. [Avec une étude de] David P. Becker, « Bresdin dessinateur », Paris, Bibliothèque nationale de France, 2000, in-4°, 184 p.), émergeant de mon fouillis à la gauche de mon ordinateur, était ouvert à la double page 88-89, montrant en grandeur réelle et côte à côte deux des quatre états connus de La Fuite en Égypte que l’artiste a dessinée sur la pierre en 1855 (cf. Dirk Van Gelder, Rodolphe Bresdin. Monographie en trois parties. Catalogue raisonné de l’œuvre gravé, La Haye, M. Nijhoff et Paris, Le Chêne, 1976, 2 vol. in-4°. Voir le n° 85).

Ma table de travail avec le catalogue (Cl. Maxime Préaud)

Je cherchais à dire sans trop me répéter à quel point Bresdin aimait à se perdre dans les entrelacs que lui inspiraient les arbres dont l’enchevêtrement traité par sa plume soulageait sa mélancolie native, quitte à transformer les branches et les rameaux de ces arbres tortueux en autant de serpents et de dragons inquiétants, et à les peupler de singes ou de makis.

Mais tout à coup, mon regard remontant le long du côté droit de La Fuite en Égypte, à peu près au milieu, c’est l’autoportrait de Bresdin lui-même qui m’apparut : en tout cas un visage d’homme barbu, au front dégarni, comme Bresdin d’après les images qu’on connaît de lui, la bouche maussade, de trois quarts vers la gauche. J’ai montré la chose à mon épouse en lui demandant si j’étais zinzin ou quoi ; elle a longuement hésité avant d’avouer que je n’avais peut-être pas tout à fait tort mais que cela n’avait rien d’évident, surtout de près. Je soumets l’affaire à votre sagacité, cher lecteur. Moi, en tout cas, j’y crois.

Sur la droite le détail agrandi. Cela fonctionne mieux si l’on regarde d’assez loin. Sur la gauche le même détail où  j’ai ajouté un peu de feutre pour aider les myopes, les taupes et les chaufferettes
(Cl. Maxime Préaud)

Certes, cela peut être un accident. Il m’arrive de voir depuis mon canapé, surtout en hiver, des visages dans les ramilles de l’érable qui s’épanouit devant notre fenêtre, où viennent se percher et se chamailler pies, corneilles et bisets. Mais tout de même… Les accidents « artistiques » n’existent guère que dans l’art contemporain.

Maxime Préaud