Portraits de famille

Galerie Schumm-Braunstein
9 rue de Montmorency
75003 Paris
14 septembre-20 octobre 2018

Certains connaissent beaucoup plus Éric Fourmestraux par ses estampes que par les autres domaines artistiques dont il use pour s’exprimer. Amoureux de la chose imprimée et passionné de typographie, il met souvent en scène l’estampe dans des ensembles multiformes particulièrement bien construit à dessein. Cette récente exposition personnelle : « Portraits de famille », le montre d’autant plus qu’il a su, ici, fendre l’armure de son graphisme impeccable et laisser poindre ses passions, ses douleurs, ses amours qui s’entremêlent au fil du temps et que cette mise en espace rend d’autant plus poignantes.

Dès l’entrée de la galerie, le fac-similé photographique de la monumentale cheminée du château du Plessis-Trévise donne le ton. Le visiteur n’entre pas là dans le badin. Deux, voire trois, visages le regardent. « Le troisième jour (à Philippe F.) », pointe sèche toute en tailles douces sur fond immaculé, expression pensive et quelque peu inquiète. L’un dans le médaillon mouluré du manteau de la cheminée ; l’autre en un puzzle qui s’éparpille sur le rideau de fer de l’âtre, rideau tombé définitivement sur la vie de son père dont la main droite protège son regard vers ceux qu’il a aimés.

En entrant (Cl. Éric Fourmestraux)

Presque face à face, entre l’entrée et la devanture, un grand portrait en pied, sa mère, lui répond : « Rester debout (à Françoise F. née Bégué) », pointe sèche gravée sur briques de lait déployées. Une évocation sensible et pudique de la volonté et du désespoir face au naufrage de la vieillesse et de la maladie.
Puis, sur la gauche, dans la lumière de la vitrine, vibre comme en contrepoint de cette vie cessante, le séduisant portrait aux crayons d’une pulpeuse repasseuse, Juliette, son amoureuse, qui semble vouloir lisser avec son fer le portrait d’une autre repasseuse qui a été roulée par le destin.

En respiration, une série d’estampes de petit format se proposent à la vue : des portraits à la pointe sèche qui associent à chacun un objet familier ou préféré, le tout siglé du point rouge d’Éric. Parmi eux, toujours, celui de Juliette accompagnée d’un flacon de parfum au ventre arrondi. D’autres œuvres, plus ou moins discrètes, disposées ça et là entre quelques antiques portraits de famille.

Au fond de la galerie, on s’arrête volontiers pour de nombreux instants devant l’étrange machinerie de Patrick Tresset qui frétille, trépidante et lancinante, face à un Éric Fourmestraux immobile et stoïque. L’automate, avec ses capteurs affolés et ses bras articulés, lui tire trois portraits-robots dont l’un a été reproduit, trait pour trait, par Éric.en trente estampes intitulées : « EF par Patrick Tresset ». La notion de portrait est ainsi mise en un abîme où un automate portraiture l’artiste qui reproduit manuellement le dessin mécanique du robot sur une estampe, tel un possible auto-portrait automatique de l’artiste et ainsi de suite…

En sortant (Cl. Éric Fourmestraux)

Enfin, au sortir de la galerie, ne pas rater, non la marche, mais en pivotant de 270° sur la droite, collée sur le mur extérieur de la galerie et offerte aux regards des passants, une frise en reprise des images imprimées par Éric Fourmestraux, frise où, avec le temps, tout passe, trépasse et s’efface.

Une exposition qu’il ne faut pas manquer même pendant le fric-frac de la Fiac.*

Claude Bureau

* Allusion à une autre œuvre présentée et accrochée à une patère : « é(f)ric et fiac », taille d’épargne et découpe, 74 exemplaires.

Noirs et Couleurs

« Noirs et couleurs »
La taille et le crayon
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère 75009 Paris
4 au 27 octobre 2018

Ce mois d’octobre 2018, la Fondation Taylor à Paris se distingue et brille des couleurs d’artistes plasticiens notoires, tels les peintres, Esti Levy et Ljubomir Milinkov, et le sculpteur, Zheng Zhen Wei. Une belle découverte plurielle à faire, s’y ajoutant les noirs de l’une des grandes signatures de l’estampe : Nathalie Grall.

Nathalie Grall : « Le minois du minou »,
roulette électrique et burin sur chine appliqué (Cl. Gérard Robin)

Celle-ci offre au regard, sur les cimaises du rez-de-chaussée, un florilège de ses créations, des plus anciennes aux plus récentes, plus d’une trentaine de gravures, où excelle le burin, ici et là allié au diamant ou au berceau et au grattoir. De l’efflorescence de signes à des silhouettes élégantes et fluides, de « L’envolée de l’embellie » à « Le minois du minou », tout un imaginaire sensible qui chaque fois enchante. Ainsi qu’elle l’écrit : « Être graveur, c’est pour moi un moyen de capter les signes fugitifs de la vie et de les transcrire sur le cuivre ». Une gravure originale, qui porte sa griffe quelle que soit la diversité graphique des créations, et où elle est sans doute plus peintre que dessinatrice. Car ne dit-on pas qu’elle aime porter son dessin, directement sur le cuivre, à l’aide du pinceau et de la gouache, pour ensuite figer la spontanéité à l’outil de taille ?

Kiyoshi Hasegawa : xylogravures (Cl. Gérard Robin)

Ensuite, dans l’atelier, au quatrième étage, « Noirs et couleurs » sont un autre grand rendez-vous à ne pas manquer, proposé par « La taille et le crayon » et concocté par son nouveau président, Carlos Lopez, et son équipe. Sous ce titre même, autour d’un hommage à Kiyoshi Hasegawa, – présent au travers d’un bronze sculpté par Georges-Louis Guérard en 1973 -, et dont on découvre des gravures inédites en taille d’épargne de la période 1913-1932, six invités sont à découvrir ou redécouvrir.

Vue partielle de l’exposition (Cl. Gérard Robin)

Ainsi : Baptiste Fompeyrine, auteur de belles images colorées qui mettent en scène, – comme lui-même l’écrit -, les figures et les mystères qui peuplent ses jardins de souvenirs.
Didier Hamey, dont la pointe sèche génère, au travers du plexiglas initial, des scènes oniriques et surréalistes, toutes empreintes de poésie, où souvent flirtent ou s’épousent l’animal et le végétal.
Dominique Neyrod, touchée par la nature dans ses rythmes, ses structures et ses teintes, des perceptions qu’elle exprime avec vigueur, telle la peintre qui sommeille en elle, au travers des eaux-fortes au trait et de teinte.
Sylvain Salomovitz, dont les tailles d’épargne sont un peu à l’image de ses aquarelles, denses et fortes, et dont il maîtrise l’impression tant à la presse qu’au frotton et même à la cuillère.
Raúl Villulas, également adepte de la taille d’épargne, celle du bois de fil dont il ne refuse pas les défauts de structure, pour accompagner ou renforcer des évocations de caractère, où l’élément humain croise parfois des oiseaux à l’apparence hitchcockienne.
Suo Yuan Wang, orfèvre de cœur, qui transcrit son imaginaire en taille-douce, par l’eau-forte au trait et de teinte, cela dans une expression dynamique indéfinissable, sublimée par le noir ou le gris des fonds, dans des compositions qui semblent des méditations, que l’on imagine culturellement inspirées des fondements d’espace et de temps qui composent notre univers.

Gérard Robin

Épreuves d’imprimeur

2 octobre au 25 novembre 2018
BnF François Mitterrand
rue Émile Durkheim
75012 Paris

Dans la bibliothèque François Mitterrand, cette exposition d’estampes, imprimées dans l’atelier ou le studio de Franck Bordas, se déroule le long de la galerie est, qui borde la verrière du jardin intérieur, dénommée « allée Julien Cain ». Entre ses pilastres, sur toute la longueur de celle-ci, sur de grands panneaux gris sont accrochées les épreuves en des présentations, consacrées à un artiste ou un thème, que souligne chaque fois un panneau explicatif illustré d’une photographie d’atelier.

L’estampe sait être très petite et intime, comme le timbre-poste, elle sait être aussi monumentale comme dans les compositions d’Albrecht Dürer dans « Le grand char triomphal de l’empereur Maximilien » ou dans les sièges de La Rochelle et le l’île de Ré de Jacques Callot. Ici, le visiteur est convié dans ce registre.du monumental où l’on peut déambuler et admirer ces estampes contemporaines avec le recul suffisant que permet la largeur de l’allée.

L’affiche de l’exposition

Multicolores, spectaculaires et lithographiques, le plus souvent, sont ces épreuves d’imprimeur que l’on peut entendre aux deux sens du mot épreuve : celui désignant le tirage imprimé réservé par l’artiste à l’imprimeur ou celui évoquant le défi lancé à l’imprimeur par les desiderata de l’artiste auquel, en bon artisan, il se doit de répondre. Épreuves réussies haut la main par Franck Bordas.

Sans éliminer les autres, faute de place, on peut citer  : le très classique « Red Shape » de James Brown, imprimé sur une vieille carte géographique dépliée. Les deux très grandes lithographies (160×120 cm) de Gilles Aillaud, deux pages blanches avec, sur l’une, une procession d’éléphants et, sur l’autre, un panorama de savane. Le gigantesque assemblage de Paul Cox : « Carte du temps perpétuel », 24 lithographies dans les couleurs primaires de la quadrichromie et bien d’autres estampes qu’il faut aller admirer de près ou de loin.

Contrairement à ce que laisse supposer la très documentée présentation de la commissaire, Cécile Pocheau-Lesteven, en fait assez peu, somme toute, d’estampes numériques mais une abondance surtout de lithographies avec, en outre, entre deux pilastres, les livres de la collection « Paquebot » surmontés d’un très bel assemblage de xylographies colorées, peuple les murs. On peut toutefois s’interroger sur la pertinence de certaines épreuves numériques présentes, comme celle de Pierre Buraglio : « Collioure en février 2015 », reprographies des pages d’un carnet de croquis ou les agrandissements photographiques de Tim Maguire : « Falling Snow III ».

Une vue de l’allée (Cl. Anne Mandorla)

En revanche, on ne peut que rester bouche bée de stupéfaction ou d’admiration devant la « fresque » numérique, pas moins de 7 mètres de long sur 2 mètres de hauteur, de Philippe Baudelocque : « Univers-Bibliothèque », cosmographie tracée en blanc sur fond noir d’une composition saisissante, commandée spécialement par la BnF.

Une exposition, donc, à ne pas manquer d’autant plus que l’accès en est libre et gratuit nonobstant le passage obligé au sas du contrôle de sécurité.

Claude Bureau