Paysage et estampe – 5

La forêt de Fontainebleau (1)

Quittant Barbizon, alors hameau fermier par ses paysans et forestier par ses bûcherons, voici la forêt dite de Fontainebleau, qui allait aussi séduire les artistes peintres et graveurs de l’époque, et au cœur de laquelle se trouve le château éponyme, demeure royale et emblème d’une école d’art célèbre au XVIe siècle.

Rappelons en effet que, sous l’impulsion de François 1er, influencé par sa découverte de l’Italie du Rinascimento, puis de Henri II, Fontainebleau était devenu un grand centre artistique, insufflant l’esprit de la Renaissance transalpine, architecturale mais aussi picturale. Ce fut la naissance, vers 1560 de l’École de Fontainebleau, où la production de gravures y fut impressionnante, avec des artistes qui assurèrent une prospérité sans précédent à l’art bellifontin : comme le buriniste Pierre Milan (ca 1500 – ca 1557) ou l’aquafortiste Antonio Fantuzzi (actif de 1537 à 1550), sans oublier Étienne Delaune (1518-1583), Jacques Androuet du Cerceau (1510-1585), René Boyvin (1536-1598), ou encore Jean Duvet, dit le Maître à la Licorne (ca 1485 – ca 1570). Certaines de ces personnalités seront aussi des acteurs importants de la diffusion de l’eau-forte en Europe.

Cette parenthèse faite, le lieu qui exerça une attraction seconde pour les artistes de Barbizon était la forêt, antique forêt de Bière, où des traces archéologiques témoignent d’ailleurs d’une présence humaine dès les temps préhistoriques. Nous évoquerons cela plus tard. Si durant les siècles suivants le massif forestier fut perçu dans l’imaginaire populaire comme un lieu plein de mystère, pour beaucoup angoissant, voire porteur de peurs, il fut pour les seigneurs un cadre de chasse privilégié car giboyeux… Tant que la forêt devint propriété royale à la fin de l’An 1000, sous le capétien Philippe 1er , son fils Louis VI y faisant même construire un relais de chasse, près d’une source : c’est l’origine du château de Fontainebleau.

On sait qu’une forêt a aussi pour vocation de produire du bois, pour les besoins du commerce et de la marine. Mais la forêt de Bière se devait de répondre au plaisir de la chasse sous la conduite des Grands Veneurs et d’être un refuge pour les grands cerfs, plus que de participer aux recettes du trésor royal. Ce à quoi contribuèrent les grands maîtres forestiers d’alors. Propriété et chasse-gardée, elle s’ouvrit peu à peu au monde au gré des bouleversements sociaux telle la révolution de 1789, castratrice des privilèges royaux, et sans doute d’une prise de conscience, de certains inspirée par les pensées philosophiques et politiques de certains, comme Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), “urbaphobe” qui avait exprimé pour l’homme du besoin d’établir un lien sensible avec la Nature, régénératrice et source d’équilibre. Ce qui, au travers de cette conscience nouvelle, se concrétisa au siècle suivant par la naissance d’un mouvement romantique du retour à la Nature, propice à la méditation poétique et en rejet d’un environnement urbain. Ce sentiment, généré dans la littérature, avait gagné le monde des artistes, offrant une vision nouvelle de la Nature, décrite alors dans la peinture ou au travers de l’estampe, et qui permit l’essor d’un phénomène d’aujourd’hui : le tourisme en forêt.

Claude-François Denecourt
Lithographie par Hermann Raunheim (1858)
© Archives départementales de Seine & Marne

Et là, une autre parenthèse s’impose, car un personnage avait pris conscience de l’intérêt de la forêt en tant que site touristique. Pourtant, rien ne le prédisposait à s’y intéresser. Il s’agit de Claude-François Denecourt (1788-1875). Ancien militaire de l’armée napoléonienne, dans laquelle il s’était engagé en 1809, il fut nommé concierge d’une caserne de Fontainebleau, en 1832, avant d’être révoqué en raison de ses pensées républicaines.
C’est alors qu’il consacra quarante années de sa vie à cet environnement boisé pour le faire connaître au plus grand nombre. Il est l’auteur des premiers guides touristiques le concernant. L’Indicateur général de Seine-et-Marne du 6 juillet 1839 signale la parution du premier guide : « La forêt de Fontainebleau et le Guide du voyageur de M. Dennecourt (sic) signé E.J. ». Le chroniqueur Étienne Jamin décrit l’ouvrage en ces termes : « un livre d’autant plus intéressant qu’avec lui on peut parcourir la forêt de Fontainebleau sans craindre de se perdre au milieu de ces nombreuses sinuosités, expliquées par la nature du sol et les variations continuelles qu’on remarque sur toute sa surface. »

Denecourt dans la forêt – Lithographie d’Henri Walter (extrait)
In Guide Denecourt – À Fontainebleau, 8e édition, 1853
(Cl. Olivier Blaise – www.fontainebleau-photo.fr)

Dans la 16e édition de son Guide historique et descriptif, le « sylvain” Claude-François Denecourt écrit : « Mais surtout n’oubliez pas que la vaste forêt qui entoure Fontainebleau n’est rien moins […] qu’un immense et admirable pêle-mêle ; mais un pêle-mêle de monts et de rochers, de gorges sinueuses et profondes, d’antres et de cavernes ; pêle-mêle, qu’en déchirant la terre le déluge a si bien formé, si bien arrangé ! pêle-mêle que saint Louis appelait ses chers déserts, déserts, en effet, trois fois délicieux ! déserts aux mille sites variés, aux mille ravissants points de vue ! déserts dont l’aspect à la fois sauvage et éminemment pittoresque, vous saisit et vous charme dès que vous y pénétrez ! ». Et, après avoir évoqué les difficultés du travail réalisé, Denecourt de poursuivre : « Mais ceci importe peu aux curieux amateurs qui viennent pour explorer nos romantiques déserts, nos agrestes rochers, nos antiques futaies, nos chênes sacrés. L’essentiel, c’est de leur fournir les moyens de les parcourir facilement et très agréablement. Ces moyens consistent : Premièrement, dans la création de cent cinquante kilomètres de charmantes promenades, que j’ai tracées et fait ouvrir parmi les sites les plus pittoresques de la forêt, sites que je suis parvenu à rendre parfaitement accessibles aussi bien au pinceau de l’artiste qu’aux pas du promeneur. Et deuxièmement, dans la composition de cartes et d’itinéraires descriptifs indiquant ces promenades, et à l’aide desquels on peut s’y diriger comme si l’on y était conduit par la main.” [Le Palais et la forêt de Fontainebleau – Guide historique et descriptif – 16e édition (1856) – BnF Gallica]

L’extension du réseau de sentiers et leur entretien fut ensuite pris en main par un autre “sylvain” de la forêt, le constructeur des ponts et chaussées Charles Colinet (1838-1905) ; une action d’ailleurs poursuivie par son épouse après son décès.

“La Gorge aux loups, avec la plantation des pins” – Auguste Anastasi.
publiée dans L’Illustration, 1858
© Archives départementales de Seine & Marne

Et les artistes de partir à la découverte du décors somptueux de la forêt, comme ce peintre solitaire représenté par Auguste Anastasi (1820-1839), et que l’on voit installé avec son chevalet sur un rocher en bas à droite de la gravure.

Dans un article de la revue Seine & Marne Mag n°131, intitulé “Découverte : Les sentiers Denecourt”, il est précisé que le massif boisé, qui couvre 22.000 hectares et accueille aujourd’hui 11 millions de visiteurs chaque année, l’ONF comptabilise 500 km de sentiers de promenade balisés parmi lesquels les sentiers Denecourt qui couvrent 300 km. Au XIXe siècle, nombre d’artistes, peintres, graveurs ou lithographes puis photographes ont trouvé leur inspiration dans la découverte de cette forêt, et bien sûr des lieux environnants.

(à suivre)

Gérard Robin

Entre rêve et narration

Une vue de l’exposition (Cl. Francine Minvielle)

Du 31 mai au 8 juin 2021,
« Quai de l’estampe » Tour St Barthélémy de La Rochelle (17),
une exposition de deux des ses membres,
Eva Demarelatrous et Armelle Magnier.

Les visiteurs pouvaient ainsi découvrir une soixantaine d’œuvres aux différentes approches picturales et techniques telles que le burin, la manière noire, l’eau forte, la linogravure et toutes les combinaisons possibles, engendrées par leur créativité. Ensemble, elles avaient longtemps fréquenté l’atelier de François Verdier, graveur buriniste à Niort, et leur solide formation en gravure s’est, depuis, doublée d’une amicale complicité ! Il n’est pas facile de présenter des visions aussi personnelles et intimistes, sises côte à côte dans cet espace d’exposition qu’est la Tour St Barthélémy et il est plus difficile encore d’en parler tout en respectant les univers de chacune.

Et pourtant, l’harmonie de l’ensemble de cette exposition frappe d’emblée les visiteurs. En circulant entre les panneaux de bois peints en blanc, servant de présentoirs aux œuvres de petits et moyens formats, ils ont l’impression de regarder les pages de plusieurs livres illustrés. Les histoires racontées sont toutes différentes mais le rêve, l’onirisme, la poésie suivent un sentier qui semble s’enrouler sur lui-même dans cette tour du XIIème siècle, toute de pierre vêtue. Le lien entre les deux artistes est accentué par la prédominance d’un noir dense mais parfois modulé par des nuances de gris conférant ainsi du relief à l’image et de la profondeur à l’histoire. La couleur est pourtant là, par petites touches, tant chez Armelle dans ses « Petites Précieuses », (manières noires de 5 x 5 cm) que chez Eva sur les gravures d’affiches ici judicieusement accrochées aux murs de pierres. Pour cerner leurs personnalités d’artistes et révéler davantage les œuvres présentées dans cette exposition, il faut maintenant parler de chacune d’elles, individuellement.

L’expression d’une rigoureuse fantaisie

Une vue des estampes d’Eva Demarelatous (Cl. Francine Minvielle)

Eva Demarelatrous, née à Kiel (Allemagne) en 1938, elle étudie aux Beaux- Arts de Düsseldorf de 1957 à 1959, date à laquelle elle part en Algérie pour suivre son futur mari. Après l’indépendance, la famille déménage de nombreuses fois entre la France et l’Allemagne pour finalement s’installer en 1975 en Vendée. Elle reprend ses études à la faculté des Sciences Humaines de Bordeaux où elle obtient sa Licence ès Lettres en 1968 et un CAPES d’enseignement à Strasbourg en 1972, tout en élevant leurs quatre enfants ! Elle apprend les différentes techniques de l’estampe avec François Verdier à l’école d’art municipale de Niort et ensuite avec Djamel Meskache à l’école d’art de La Roche-sur-Yon pendant une vingtaine d’années jusqu’en 2018.

Peintre pendant plusieurs années, elle réalise des multiples, où elle raconte souvent des histoires figuratives qu’elle peut associer à ses textes. « Ainsi, j’ai édité plusieurs livres d’artiste, avec poèmes et gravures originales. Comme j’écris également, j’aime associer l’image et le texte. « Le va-et-vient entre gravure et typographie est passionnant » précise-t-elle.

La gravure, complémentaire de sa peinture, lui permet de passer des grandes toiles colorées, et non figuratives, à des formats plus petits, en noir et blanc, sur métal et récemment, en couleur, sur linoléum. « En gravure, j’apprécie le côté artisanal, les gestes mesurés, l’alchimie des techniques et des produits utilisés. C’est une bonne école de rigueur et de patience. Même si je maîtrise assez bien les techniques, il y a souvent une part de hasard, mais qui aboutit toujours à un éblouissement ».

Pour compléter ce portrait voici quelques prix obtenus pour son œuvre gravée : le Folio d’or de la 10ème Foire internationale aux Livres d’exception (Albi, 2011), le Prix de la Ville (Royan, 2015), le Prix des Beaux- arts, Prière de toucher, (Béziers, 2016).

Pour cette exposition, elle a choisi de présenter quatre thèmes principaux :
– Le Blanc dans la Vie : images de la vie de famille où la couleur blanche ressort sur les nuances grisées de l’aquatinte. Dans cette pénombre flottent souvent des personnages plus ou moins énigmatiques comme les anciens prétendants sur la gravure du mariage. Leur présence ajoute une note dramatique à la scène. « Le blanc est présent du lange au linceul… »
– Kafka et Miléna : « J’ai choisi ces nouvelles sombres, sans espoir. Kafka c’est le désespoir !  Ils avaient un échange de lettres et elle, Milèna, était sa lumière. Il y avait comme une lumière céleste en elle, disait-il. Il écrivait en allemand et elle était sa traductrice en langue tchèque ».
Les gravures sont traitées au vernis mou et à l’aquatinte, textes inclus. Elles illustrent, dans le style très imagé d’Eva, des extraits de la correspondance originale dont les personnages ou les scènes sont tirés des Métamorphoses.
– Le loup : ce thème cher à Eva, peut être regardé comme Le Petit Chaperon rouge revisité. Certaines scènes sont gravées sur linoléum avec de grandes tailles profondes comme des blessures pour symboliser l’attaque du loup. D’autres, dans une ambiance bucolique et insouciante comme au début de l’histoire, sont empreintes d’une légère naïveté. Eva conclut d’un air entendu, « Dans la vie, le loup est souvent DANS la maison.»
– Les affiches : ces linogravures sont inspirées par de vraies affiches vues à New-York sur les murs de la ville. L’ironie de « Stick no bills » (Interdiction d’afficher) allègrement reproduit dans son motif, la typographie caractéristique et la couleur un peu délavée comme celles des murs défraichis des villes lui font dire avec un sourire malicieux « c’est vivant ».

Sur les traces d’un rêve inachevé

Une vue des estampes d’Armelle Magnier (Cl. Francine Minvielle)

Armelle Magnier n’a jamais oublié son Finistère natal, « les traces de pas sur le sable, le sillage blanc des navires sur l’eau noire, les marques laissées par le vent dans les dunes, celles de la pluie sur les carreaux… » ’est aujourd’hui, toujours au bord de l’Atlantique, dans son atelier à La Rochelle, qu’elle grave ses plaques de cuivre à la recherche de ces traces de souvenirs en partie enfouis. L’impalpable, le fugace, le fugitif, l’inspirent. Manière noire et burin ont trouvé leur juste place dans cette exposition où le visiteur peut à loisir s’isoler et s’approcher tout près des œuvres aux contours mystérieux et inachevés. « Je n’ai pas envie que l’on voie tout, l’imagination est importante » dit-elle avec conviction.

L’œil du visiteur/spectateur scrute, analyse, découvre enfin ce qu’il croit être le corps d’une femme, le tronçon d’un arbre ou même un plongeur à l’arrêt ! Mais ce sont des rhizomes, des racines, des fragments, en fait une image suggérée mais pas finalisée. « Ce sont souvent des ébauches comme des rêves comme des images que l’on a au matin, des soupçons de rêves ».

Chaque œuvre a son histoire, différente de celle d’à côté, référence forte à un souvenir, allusion à un lieu, un thème, une musique. Parce que la musique est aussi très importante pour Armelle en souvenir des « orchestres » improvisés par sa joyeuse maisonnée. Alors, elle l’introduit dans certaines œuvres comme pour en scander le rythme. Tout comme sa passion pour le gaufrage encadrant ou ponctuant certaines images, les enrichissant d’un relief aux lignes courbes. Le mouvement provoqué par cette « gravure incolore » qu’elle crée à partir de tailles profondes dans du lino, anime son image. Le mystère s’épaissit, et c’est justement ce qu‘elle recherche ! Elle va aussi utiliser la technique du gaufrage sur un Chine appliqué, diversifiant ainsi les matières. Armelle adore combiner les techniques (manière noire, eau forte, lino, burin…) s’essayer à divers matériaux, divers métaux, observer les réactions des outils et des mordants. Sa recherche n’a de limites que sa curiosité !

Elle trouve dans la gravure un large éventail de libertés créatrices, « c’est une cuisine où je découvre de nombreuses recettes » a-t-elle déjà déclaré. Par exemple, elle peut travailler une Manière noire comme une aquatinte, reprenant les tailles en les écrasant pour faire apparaître, peu à peu, certaines lumières dans le noir profond. La combinaison de diverses techniques enrichit son travail, mais, pour elle, le résultat final d’une œuvre est surtout dans ce qui ne se voit pas mais qui se devine.

La présentation est aussi très importante. Ainsi l’absence de vitre dans le cadre et la largeur du pourtour blanc autour de l’estampe font partie de la « mise en scène » d’une œuvre. « Jonas » et « Rivages » en sont les parfaits exemples ! Il y a aussi cette sensualité, cet érotisme sous-jacent que l’on perçoit immédiatement dans les formes représentées aux arrondis lascifs ; même une échelle de carrelet en bois est courbe, elle ondule ! Je remarque plusieurs petits formats de même taille, elle explique : « j’ai toujours des 5×5 qui m’attendent l’hiver ». Ici, ce sont des natures mortes monochromes ou bicolores. Ainsi, elle est prête pour les nombreuses expositions internationales des Petits formats auxquelles elle participe régulièrement : Cadaquès, (Espagne), Vancouver (Canada), Kazanlak, (Bulgarie). Pour compléter ce portrait, il me faut ajouter quelques distinctions : la Médaille de Bronze en 2015 et celle d’Argent en 2019 au Salon des Artistes français dont elle est sociétaire.

J’ai trouvé cette exposition en duo captivante, variée, surprenante à bien des égards. Cette « formule » n’est pas nouvelle mais le « Quai de l’Estampe » peut la renouveler sans crainte. Les regards croisés sur deux artistes côte à côte a quelque chose de vivant et d’enrichissant.

A bon entendeur…et ici, bon lecteur…

Francine Minvielle

Au cœur d’un festival

Château de Fontainebleau et affichette Japon
(Cl. Maïté Robin)

Piloté par la Direction générale des patrimoines au Ministère de la Culture, un grand festival est organisé chaque année par l’I.N.H.A. (Institut National d’Histoire de l’Art), établissement que l’on sait placé sous la double tutelle des ministères de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et de la Culture ; il est destiné à la promotion de la recherche scientifique en histoire de l’art. Écrin de l’événement : le château de Fontainebleau, support du volet culturel et pédagogique du Festival, avec une programmation dédiée au grand public, aux familles et aux scolaires. Pour le 10e anniversaire de l’événement, l’Édition 2021 avait pour thème le plaisir, celui des sens et de l’esprit, dans toutes ses amplitudes, et pour invité d’honneur le Japon.
En avant-propos, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, avait donné le ton : « L’histoire de l’art n’est pas une discipline réservée à quelques-uns. Grâce au Festival de l’histoire de l’art, qui attire un public toujours plus nombreux et diversifié, elle apparaît clairement comme un vecteur de connaissance, d’émancipation, d’ouverture et de plaisir, destinée à tous. Elle est aussi une porte ouverte sur d’autres cultures, d’autres époques et d’autres imaginaires. Elle invite à se couler dans le regard des autres sur le monde et offre la chance folle de la rencontre avec des chercheurs, des artistes, des architectes, tous absolument attachés à transmettre leurs savoirs et leur passion. »
Une manifestation qui, du 4 au 6 juin 2021, proposait près de 300 événements, sis en une quarantaine de lieux, avec nombre d’invités prestigieux, acteurs de l’histoire de l’art, historiens et artistes, des conférences, des débats et tables rondes, des projections, s’y ajoutant tout un périple sensoriel au pays du Soleil Levant. Tout cela en accès libre et gratuit, en présentiel ou en distantiel, un grand souffle d’apaisement après la période de confinement !

Quant à l’estampe, contemporaine et japonisante, elle était présente dans une programmation associée, où elle offrit au regard le talent d’invités notoires.
Tout d’abord, dans le salon d’honneur de l’hôtel de ville bellifontain, une exposition d’artistes japonais travaillant en France, montée par Anna Jeretic, professeure de gravure à l’Académie Comairas de Fontainebleau. Mises en valeur par un bel accrochage sur les cimaises, cinquante cinq œuvres, réparties non par le nom de leur auteur, mais par une correspondance visuelle ressentie par l’organisatrice, thème, couleur ou geste créateur. Une approche intéressante ! Certains noms nous sont familiers, pour les avoir exposés lors de notre biennale “Estamp’Art 77 2012, Floraison d’ailleurs”. Et de retrouver (ou découvrir) des “estampiers” comme, Akira Abé, Miyako Ito, Hiroe Katagiri, Akané Kirimura, Mika Shibu, Hiroko Yamamoto … Derrière plusieurs de ces artistes se devine la fréquentation de l’Atelier parisien “Contrepoint”, né de l’Atelier 17 cher à Stanley William Hayter (1901-1988), qui accueillit par le passé nombre d’artistes de renom… L’Atelier actuel, dirigé par Juan Valladares (1946-2019) puis par Hector Saunier, accueille aujourd’hui des artistes venant du monde entier, dont bien sûr du Japon.

Exposition Japon – Salon d’honneur de l’Hôtel de ville de Fontainebleau
(Cl. Gérard Robin)

Donc, une belle exposition, en accord avec le thème du Festival, pour laquelle je regretterai, – mais c’est une opinion toute personnelle -, qu’il n’y ait pas une représentation du principe général de l’estampe, et que la mention des techniques ne figure pas sous les œuvres. Cela pour aider le grand public à apprécier ce qu’il voit en découvrant les diverses techniques qui interviennent dans la création d’une image. Par contre la mention “plus” vient d’une hôtesse qui propose à l’arrivée, outre une feuille d’Anna Jeretic présentant les artistes, mais aussi une loupe pour apprécier la qualité du travail. Signalons enfin la présence de Yu Hirai qui, ajoutant à des linogravures, expose deux superbes photographies qui avoisinent deux livres d’artistes d’Akané en calligraphies.

Galerie L’Angélus – Mikio Watanabe
(Cl. Maïté Robin)

Ensuite dans la Galerie “L’Angélus, Séries” (34, Grande Rue – 77630 Barbizon), où le couple Hiam et Bachar Farhat accueille Mikio Watanabé, pour une exposition qui heureusement se prolongera jusqu’au 28 juin,
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, ce dont je doute que cela soit possible, il est l’un des grands maîtres de la manière noire, gagnant sa notoriété au travers d‘une vision de la nature sans artifices, en une belle célébration du vivant, du corps de la femme au vol des insectes. Sensualité et légèreté se conjuguent avec bonheur dans des représentations poétiques où Mikio exprime sa quête au travers de ces mots, rapportés dans le programme du festival et sa plaquette d’exposition : « Je suis persuadé qu’au cœur de toutes les choses existant dans ce monde, il y a quelque chose de très simple et pur… Cette pureté est par essence puissance et beauté. » La vision des œuvres en cimaises est porteuse de cette pensée. Mais ce qui passionne aussi est la rencontre de l’artiste en présence de ses créations graphiques, et la découverte de l’homme de passion qu’il est, un état d’être qu’il semble toutefois peiner à dévoiler, tant la simplicité et la retenue le nimbent. Son visage, affable et souriant, bordé du gris de la chevelure flottante et de la barbe nous feraient presque penser à une personnalité de l’ukiyo-e… Je me plais à l’imaginer en un Hokusaï qui serait fou de gravure ! Bien sûr, il maîtrise à la perfection la “mezzotinto”, où il faut apprivoiser le cuivre-miroir, le cribler avec subtilité et douceur, le marquer sans l’agresser, lui faire révéler les nuances picturales de sa grénelure ouvragée ou modulée, ce mystère des confrontations du geste, de la matière et de l’âme. Avec au delà l’apposition de l’encre, en alchimie brutale avec le motif et les fibres amoureuses du papier, de l’interposition peut-être d’une couche de Japon, utilisée comme rarement, tout cela sous la pression décisive de la presse. Que de mystères dans ce voyage au bout du savoir-faire et de la révélation picturale !

Mikio y excelle, mais, comme tout voyageur, il se révèle aussi être dans une recherche permanente, ici, au-delà de la “manière” même, tout en la respectant dans son principe. Pour exprimer toutes les subtilités que lui dictent ou imposent les images qu’il croise dans son imaginaire fécond et exigeant. Cela, pourquoi pas au travers du détournement réfléchi d’un élément de l’action globale. Ce qu’il se plait à dévoiler aux amis… Mais il est vrai qu’il ne suffit pas de savoir, pour s’approprier la démarche et atteindre le résultat désiré… Dans ses mains, du grand art, tout simplement. Et que le temps passe vite avec un artiste de cette qualité ! Retenez cette présence Barbizonaise, en face de la maison atelier Jean-François Millet, intitulée : ”Mikio Watanabé, éphémère immortel”.

Gérard Robin