Autoportrait camouflé ?

« La Fuite en Égypte » de Rodolphe Bresdin (Cl. Maxime Préaud)

J’étais tranquillement assis à mon bureau, en train d’écrire à Claude Bureau, justement, par une tristounette après-midi d’hiver (le lundi 18 janvier 2021 pour être exact et précis), lorsque je fus frappé par une brutale révélation. Je m’apprêtais à me remettre à la rédaction d’un texte sur Rodolphe Bresdin qui m’a été récemment commandé. Le catalogue que j’avais rédigé de l’exposition présentée à la Bibliothèque nationale de France à l’été 2000 (Rodolphe Bresdin (1822-1885), Robinson graveur. Catalogue par Maxime Préaud. [Avec une étude de] David P. Becker, « Bresdin dessinateur », Paris, Bibliothèque nationale de France, 2000, in-4°, 184 p.), émergeant de mon fouillis à la gauche de mon ordinateur, était ouvert à la double page 88-89, montrant en grandeur réelle et côte à côte deux des quatre états connus de La Fuite en Égypte que l’artiste a dessinée sur la pierre en 1855 (cf. Dirk Van Gelder, Rodolphe Bresdin. Monographie en trois parties. Catalogue raisonné de l’œuvre gravé, La Haye, M. Nijhoff et Paris, Le Chêne, 1976, 2 vol. in-4°. Voir le n° 85).

Ma table de travail avec le catalogue (Cl. Maxime Préaud)

Je cherchais à dire sans trop me répéter à quel point Bresdin aimait à se perdre dans les entrelacs que lui inspiraient les arbres dont l’enchevêtrement traité par sa plume soulageait sa mélancolie native, quitte à transformer les branches et les rameaux de ces arbres tortueux en autant de serpents et de dragons inquiétants, et à les peupler de singes ou de makis.

Mais tout à coup, mon regard remontant le long du côté droit de La Fuite en Égypte, à peu près au milieu, c’est l’autoportrait de Bresdin lui-même qui m’apparut : en tout cas un visage d’homme barbu, au front dégarni, comme Bresdin d’après les images qu’on connaît de lui, la bouche maussade, de trois quarts vers la gauche. J’ai montré la chose à mon épouse en lui demandant si j’étais zinzin ou quoi ; elle a longuement hésité avant d’avouer que je n’avais peut-être pas tout à fait tort mais que cela n’avait rien d’évident, surtout de près. Je soumets l’affaire à votre sagacité, cher lecteur. Moi, en tout cas, j’y crois.

Sur la droite le détail agrandi. Cela fonctionne mieux si l’on regarde d’assez loin. Sur la gauche le même détail où  j’ai ajouté un peu de feutre pour aider les myopes, les taupes et les chaufferettes
(Cl. Maxime Préaud)

Certes, cela peut être un accident. Il m’arrive de voir depuis mon canapé, surtout en hiver, des visages dans les ramilles de l’érable qui s’épanouit devant notre fenêtre, où viennent se percher et se chamailler pies, corneilles et bisets. Mais tout de même… Les accidents « artistiques » n’existent guère que dans l’art contemporain.

Maxime Préaud