Lithographes et taille-douciers

« Impressions d’ateliers »
Lithographes et taille-douciers parisiens
par France Dumas
éditions « Riveneuve »

La première de couverture du livre (Cl. éditions Riveneuve)

Bien rares devenus sont les ateliers artisanaux dans Paris intra-muros. L’enchérissement des loyers commerciaux dans la capitale en est la cause mais pas seulement. La parution de l’ouvrage de France Dumas est donc la bienvenue. En effet, alors qu’au mitan du siècle dernier, Paris comptait plusieurs ateliers lithographes et taille-douciers par arrondissement, ils sont aujourd’hui moins de trois poignées dans la capitale. Pourtant, dans la chaîne de création d’une estampe ces ateliers sont un maillon important surtout si l’artiste créateur de celle-ci ou son éditeur (qui ne sont pas légions, hélas…) a besoin d’un tirage important ou, s’agissant de lithographie, s’ils permettent à l’artiste de s’affranchir d’un matériel lourd et volumineux dont ces ateliers disposent. Il faut donc mettre en valeur le rôle jouer par tous ces ateliers.

L’ouvrage des éditions « Riveneuve » signée par France Dumas, stampassine et illustratrice, le fait avec bonheur. Elle nous invite à un voyage parisien au travers de douze ateliers où, par sa plume et son crayon, dans près de deux cent pages, elle découvre les ambiances et les gestes de ces métiers si utiles que ces artisans ont à cœur de transmettre aux nouvelles générations. Un ouvrage à acquérir auprès de l’éditeur et à compulser avant, peut-être, d’entreprendre des visites in-situ lors d’une prochaine Fête de l’estampe ou d’une journée des métiers d’art.

Un petit format carré de 17×17 cm à mettre entre toutes les mains, d’autant plus qu’il s’ouvre sur une préface toujours savante et légère de Maxime Préaud, graveur, conservateur général honoraire des bibliothèques de la BnF et président honoraire de Manifestampe et qu’il se clôt sur une postface de Christain Massonet, collectionneur d’estampe, président de la « Gravure originale » et membre fondateur de Manifestampe. Ouvrage à commander directement chez l’éditeur qui le livre gratuitement par La Poste à : https://www.riveneuve.com/.

Claude Bureau

50 ans d’édition d’estampes

« La gravure originale »
50 ans d’édition d’estampes
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère  75009 Paris
2 au 24 octobre 2020

Les trois éditions 2020 de « La gravure originale »
José San Martin, George Rubel et Cécile Combaz
(Cl. Gérard Robin)

C’est une grande histoire que celle de l’estampe. Ce medium pluriel dans son essence et singulier dans ses capacités expressives multiples qui en firent au fil du temps jusqu’à nos jours un medium d’expression exceptionnel, se place toujours au plus haut de l’échelle des arts de l’image. Une permanence continuelle, antérieure à l’invention de l’imprimerie, imprégnée d’un geste créateur qui remonte à la Préhistoire. Avec parfois des périodes difficiles, comme lorsque apparut la photographie, et plus près de nous quand l’iconosphère prit son ampleur planétaire.

En  France, en réaction à ces difficultés, fut alors lancée le mouvement Manifestampe, création légitime pour contrer une perte de lisibilité existentielle de l’estampe, tant dans le grand public que dans l’esprit de certains acteurs du monde de l’art. Des personnalités comme Christian Massonnet, amateur passionné de gravure, Michel Cornu, taille-doucier, Dominique Neyrod, Catherine Gillet, Dominique Aliadière, Claude Bureau, graveurs, Maxime Préaud, Céline Chicha, conservateurs à la BnF, entre autres, en furent les fondateurs et Louis-René Berge, buriniste académicien, le premier président de la Fédération nationale de l’estampe – Manifestampe

Mais, il y avait aussi, parallèlement, et c’est de grande importance, des associations de graveurs qui soutenaient la connaissance de l’art et quelques clubs d’amateurs destinés à satisfaire un public averti et à aider les artistes par des commandes d’édition en souscription. En particulier celui de La Gravure Originale, fondé, lors d’un Manifeste en 1970 par un grand amateur de gravures, Alain Weil, aujourd’hui président d’honneur, et actuellement dirigé par Christian Massonnet. Le Club fête en ce moment son jubilé à la Fondation Taylor, un lieu d’aide ouvert sur les arts plastiques que Jean-Michel Mathieux-Marie a qualifié à juste titre d’être en particulier un havre d’excellence pour l’estampe.

Les deux présidents Alain Weil et Christian Massonnet
(Cl. Gérard Robin)

À l’actif de La Gravure Originale (que je connais et fréquente depuis une vingtaine d’années) 50 ans d’existence qui ont participé à la vitalité de la gravure et de l’estampe en général. Elle s’offre aujourd’hui au regard, au sein d’une exposition exemplaire sur les quatre niveaux de l’immeuble du baron Taylor, du sous-sol à l’atelier. Près de 140 artistes, dans des expressions des plus diverses, sont ici exposés. Un lieu de découvertes et de rencontres, où le port du masque s’oublie presque, tant l’intérêt est grand, donnant une note exotique aux rencontres. Beaucoup d’intérêt donc, sans oublier les conférences qui accompagnent l’événement.

La salle en sous-sol de la Fondation Taylor (Cl. Gérard Robin)

Pour marquer la manifestation, un catalogue de qualité a été édité : 183 pages d’illustrations et de textes, dont celui sous la signature de Michel Melot, ancien directeur au département des estampes et de la photographie de la BnF. On y trouve aussi un rappel des principales “manières” composantes de l’estampe, la relation de contacts lors de visite d’ateliers. Et bien sûr la chronologie des éditions et le répertoire des œuvres exposées. Pour les illustrations, l’esthète pourra regretter un choix de rendu (densité soutenue) peu fidèle à la réalité visuelle des estampes, mais le catalogue mérite de figurer dans les bibliothèques de chacun. Il est symbole d’un moment d’histoire de la gravure originale. Il reste à faire vœu que cette action, dans les moments difficiles que nous vivons, perdure et s’enrichisse de créations nouvelles.

Gérard Robin

Virtuel ou sur le vif

Biennale internationale du carton gravé 1
Galerie « L’entr@cte »
3 rue de Versailles
92410 Ville d’Avray
2 au 25 octobre 2020

Les estampes du collectif « Carton extrême carton »
(Cl. Claude Bureau)

Cette première biennale organisée par le collectif « Carton extrême carton », qui se consacre à la promotion de la cartogravure, fut victime au printemps du confinement général et fut annulée. Remplacée par son catalogue virtuel lors de la Fête de l’estampe 2020, elle est en cet automne, sur le vif, aimantée sur les murs de la galerie « L’entr@cte » de Ville d’Avray. Cent dix-huit estampes, réalisées avec des matrices en carton gravé, sont à voir disposées en une ligne horizontale continue, qui court dans tout l’espace, sans encadrement et sans vitre, à courte portée du regard du visiteur.

Enfin sur le vif écris-je car, malgré que j’aie eu le loisir de regarder sur l’écran de mon ordinateur, le 26 mai 2020, les soixante quatre estampes de son catalogue virtuel, pouvoir les observer en vrai, sans le truchement d’un écran vitré, est tout à leur avantage et tout au bénéfice de mon plaisir d’amateur. Enfin dans le monde réel ! Là, les qualités expressives propres à l’estampe – intrinsèques, allais-je écrire – sont mises en évidence. Qualités qu’aucun monde virtuel et numérique ne saurait restituer !

Une vue de la biennale (Cl. Claude Bureau)

Car, toutes ces qualités s’incarnent dans des réalités bien matérielles. Tout d’abord, les papiers si divers dans leur texture, leur grain, leur rugosité, leur soyeux, leur couleur ou leur fibre, etc. Chaque papier a sa manière particulière de capter la lumière. Ensuite, les rapports géométriques entre la surface du papier (d’un format identique : 20×30 cm) et celle de l’image, ces rapports sautent ici aux yeux et ils servent l’expression. Aussi, toutes les subtilités, les nuances, les variations, les transparences des tonalités surgissent-elles là bien visibles et expressives. Enfin, le moindre détail ou accident de la surface des matrices, qu’ils soient volontaires ou non, se laisse discerner sur le papier.

En comparant quelques-unes des estampes aimantées avec leur reflet virtuel consigné dans le catalogue, on peut mieux mesurer l’écart existant entre ces deux mondes. Par exemple, l’estampe de Blandine Courcoux où l’embrouillamini de l’image virtuel devient sur le vif parfaitement lisible avec son personnage à tête de cerf rouge-orangé qui danse dans un sous-bois gris-bleu. Le grand aplat rouge de celle de Balaguer Mitjans Mercede reste ici parfaitement transparent et laisse ses entailles noires s’entrelacer. Dans celle d’Ana Sartori, le relief du tissage et le fil doré du soleil dressent la magie d’une jungle impénétrable. Le graphisme maritime dans celle de Louise Le Besnerais vibre sur des gris-bleus évanescents qui resteraient invisibles sans avoir eu l’estampe devant les yeux. Enfin, la route glacée d’Anne Paulus ne brillerait pas si l’on ne pouvait avoir vu la totalité des minuscules détails de la surface du carton présents sur le tirage. Ces quelques exemples sont donc un vif encouragement à aller regarder, sur place et sur le vif, la centaine d’estampes proposées aux visiteurs par cette première biennale.

Une autre salle de la biennale (Cl. Claude Bureau)

Une dernière réflexion : souvent les estampes présentes sont numérotées avec un dénominateur indiquant un minuscule tirage. Cette rareté reflète-t-elle sans doute une tendance contemporaine qui courre parmi les jeunes artistes et, parfois, parmi les moins jeunes stampassins. Comme avec le dessin ou la peinture, ils pratiquent certainement l’estampe surtout pour ses qualités expressives soulignées ici et non pas pour user de la caractéristique principale de l’estampe qu’est sa reproductibilité. Cette caractéristique serait-elle alors en voie d’abandon au profit de cet autre monde, le virtuel ? Ce serait bien dommage.

Claude Bureau