Artistes français 2023

Un espace du Salon des Artistes Français (Cl. Gérard Robin)

Salon des Artistes Français 2023
Grand Palais Éphémère, Paris
15 – 19 février 2023

Coronavirus oblige, je n’avais pu me rendre, en février 2022, à « Art Capital ». Cette année fut donc pour moi la découverte de l’espace du « Grand Palais Éphémère », conçu par l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Installé place Joffre sur le Champ de Mars à Paris, il s’ouvre d’un côté sur l’École militaire et de l’autre fait face à la Tour Eiffel. Constitué de 44 arches monumentales culminant à 20 mètres, il offre un espace très agréable. Ce lieu accueille pour la deuxième fois les quatre salons d’art fusionnés depuis 2006 : “Artistes Français” (plus de 600 artistes exposés), “Artistes indépendants”, “Comparaisons” et “Dessin Peinture à l’eau”.

C’est bien sûr le premier salon qui nous intéresse, dans son 233e opus, puisqu’il renferme une grande section “Gravure”, qu’il ne faut pas manquer.Cependant, dans l’éditorial du catalogue, le président de la « société des Artistes Français », Bruno Madelaine, évoque en marge du succès continuel de la manifestation un pessimisme préoccupant, précisant : « Cependant, force est de constater que le Ministère de la Culture se désengage depuis plusieurs années en nous réduisant son aide financière pour nous forcer au silence et nous faire disparaître de la scène artistique. » Des propos incisifs, y ajoutant lors des remerciements : « Nous regrettons que Madame la Ministre de la Culture et de la Communication nous ait refusé son soutien et son éditorial, contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs qui l’avaient fait ».

Quittant la politique et les interrogations qu’elle pose, nous pénétrons dans le hall immense où l’art, sous ses diverses formes, jaillit de la lumière. Dépassant la section photographie, nous entrons dans celle de la gravure. Nous y retrouvons cette atmosphère particulière où l’intimité des œuvres se dévoile à loisir au regard des visiteurs. Nous sommes en semaine, le public est là mais sans excès, une présence qui ménage à la fois le plaisir des rencontres et l’observation sans contrainte des cimaises. Des estampes dans une grande diversité créative. Bien mises en scène sur les cimaises, elles répondent à un choix original de présentation, ― reconduction picturale de l’année précédente ―, des organisateurs : le président Guy Braun, fin connaisseur et praticien des différentes “manières”, et Isabelle De Font-Réaulx, taille-doucière voyageuse et présidente de l’association « Pointe et Burin ».

Panneau Guy Braun – Caroline Lesgourgues (Cl. Gérard Robin)

Une finalité visant à éviter de grouper les créations d’un artiste autour de sa signature et au contraire de les alterner sur leur panneau, dans un souci d’harmonie et même parfois, pourquoi pas, de rupture. Cela afin de ne pas enfermer le regard dans un style et inciter à un parcours destiné, comme le souligne Guy, à « créer une narration ». Le mélange est singulier mais fonctionne, mettant en relief l’imaginaire des uns et des autres. L’élément complémentaire, qui permet de bien comprendre et apprécier le travail stampassin, est aussi la présence çà et là, de matrices voisinant leur tirage. Pour le néophyte, la compréhension de l’estampe est là, à défaut de démonstrations, peu réalisables dans ce type de manifestation. Autre plus, la présence de cartons d’estampes présentes en cimaises ou non, complétant l’accrochage et offrant une meilleure connaissance de l’œuvre gravé d’un artiste, un choix d’acquisition plus large pour les amateurs intéressés.

Judikael, cuivre et estampe (Cl. Gérard Robin)

A noter que nombres d’anciens médaillés sont présents en cimaises. Médailles d’honneur : Yves Marchaux, Guy Braun, Manuel Jumeau. Médailles d’or : Isabelle de Font-Réaulx, Nicole Guezou, Frédérique Galey-Jacob, Diane Latrille. Médailles d’argent : Judikael, José Luis Giambroni, Caroline Lesgourgues, Armelle Magnier, Aleksei Bobrusov, Nayla Hitti, Hélène Midol. Médailles de bronze : Yoshiko Obata, Isabelle Delamarre, Jyce, Marianne De Nayer, Yannick Dublineau, Jullien Clément, Jacques Meunier, Alexey Akatiev, Jim Monson, Nelly Reymond, Jean-Pierre Ritz.

Cette année, les médailles 2023 ont été décernées, pour l’or à Caroline Lesgourgues, pour l’argent à Marianne De Nayer, Yannick Dublineau et pour le bronze à Nicolas Prod’homme, Bruno Spadaro, Michèle Vinzant. Quatre distinctions ont été par ailleurs attribuées : Prix Taylor à Nayla Hitti et Manuel Jumeau, Prix Hahnemühle à Michel Cailleteau, Jyce, Jacques Meunier, Jean-Pierre Ritz, Prix Charbonnel à Jean-Marie Munier, Prix Lucien et Suzanne Jonas à Hyang Sook Jo et Prix Art & Métiers du Livre à Jeannine (Jeanne Montadon).

Et comment ne pas citer les intervenants non récompensés : Jeanine, Jo Hyan Sook, Sébastien Lacombe, Marhiester, Lena Mitsolidou, Asako Nagasawa, Paz Borquez-Chevallier, Nicolas Camille Prod’homme, Corinne Rod, Bruno Spadaro, Michèle Vinzant, Ziyu Zhou.

Pour conclure, nos compliments aux organisateurs pour le travail fourni et la qualité de leur section, qui ajoute sa réussite aux trois autres : peinture, sculpture et photographie. Un ensemble qui devrait sensibiliser les pouvoirs publics à soutenir la présence artistique hexagonale, essentielle à l’équilibre de notre société en la période difficile et incertaine que nous vivons.

Gérard Robin

À travers – de travers

Une vue générale de l’exposition (Cl. Claude Bureau)

Exposition biennale de la
« Jeune Gravure Contemporaine »
8 février – 1er mars 2023
Mairie du VIe arrondissement
78 rue Bonaparte 75006 Paris

Suivant une mode maintenant bien répandue parmi les organisateurs d’expositions annuelles, biennales ou triennales, c’est à travers ce thème que l’association « Jeune Gravure Contemporaine » a convié ses sociétaires et leurs invités à élaborer leur participation pour sa traditionnelle biennale au salon du « Vieux Colombier » de la mairie du VIe à Paris. Une part des cimaises est aussi consacrée à une petite rétrospective en hommage à un de ses sociétaires et ancien président récemment disparu : André Béguin.

Boire à travers une paille est enfantin et anodin, boire de travers peut s’avérer dangereux voire fatal. Marcher à travers une forêt apaise les tourments, marcher de travers augure mal de sa bonne réputation. Regarder à travers des lunettes semble habituel, regarder de travers son prochain demeure toujours inamical. Et, ainsi de suite. Le visiteur, prévenu par ce jeu aux multiples entrées et significations, s’attend donc, au cours de sa déambulation attentive dans la vaste salle et son promenoir en mezzanine, à de nombreuses transcriptions graphiques de ces jeux de mots. Souvent le fil est bien ténu entre la contrainte imposée et les propositions formelles. L’accrochage soigné donne cependant toute sa place à l’univers personnel de chacun des artistes présents grâce au nombre de leurs estampes exposées. Il ne reste plus qu’à laisser son regard capter celles qui retiennent la vigilance et l’émotion.

Les triptyques de Caroline Garcia et Rosa Burdeos (Cl. Claude Bureau)

Les planchettes de Caroline Garcia toutes empilées de travers en équilibre précaire passent à travers trois grandes pages blanches infiniment. Les paysages à la dérive de Line Sialelli s’écroulent de travers sur la gauche où des lévriers féroces tentent de pister toute une faune réfugiée au travers d’un entrelacs de branchages tandis qu’un pauvre randonneur lutte pour échapper aux vagues tourbillonnantes qui tranchent celui où il marchait. On peut passer au travers des noirs arcs en plein cintre des obscurs tunnels mémoriels de Pascale Simonet sans rompre le fil d’Ariane rouge qui les traverse. Dans son style minimal Anne Paulus pose de travers un disque blanc à peine parsemé de constellations noires au travers duquel un faisceau de traits brisés en verre transparent luit.

Le panneau de Toshiko Hishida (Cl. Claude Bureau)

Toshiko Hishida manie avec virtuosité les transparences de ses encres au travers d’objets quotidiens : verres et vases où se jouent les diffractions de la lumière. Les plaques de carton gravé multicolores de Dominique Moindraut toutes juxtaposées de travers au centre de trois plages blanches défient les certitudes orthogonales du monde carré qui les supporte. Il faut savoir gré à Nicolas Sochos d’avoir invité Paul Diemunsch qui regarde de travers ses semblables d’hier et d’aujourd’hui dont le burlesque et le tragique s’entremêlent dans des mises en scène picaresques aux traits acérés et sûrs. Enfin, les créatures hallucinées et dés-ailées de Violaine Fayolle s’égaillent à travers les frises, cintres et portants de ses petits théâtres découpés en une poétique partie de cache-cache. Comme le rappelle le très documenté catalogue de l’exposition, la qualité formelle et la probité technique sont donc de nouveau au rendez-vous de ce presque centenaire événement stampassin.

Claude Bureau