Le livre de demain

Sur la couverture de la revue « Mémoire d’images »,
reproduction d’un bois de Renefer pour Bella de Giraudoux, 1938

Les amateurs des volumes du « Livre de demain » publiés par Arthème Fayard sont nombreux. Ils seront intéressés d’apprendre que la revue « Mémoire d’images » (voir leur site1) consacre une partie de son n° 54 (été 2023) à l’histoire de cette collection, en insistant sur les graveurs en bois qui ont fourni les 8144 illustrations.

L’affiche de l’exposition

On y trouve également l’annonce d’une exposition qui se tiendra à la médiathèque de Fontenay-aux-Roses (92032), organisée par les Archives de la Ville de Fontenay qui viennent d’acquérir l’ensemble de la collection2.

Maxime Préaud

1 – Le site de ce magazine est ici : https://memoiredimages.net/
2 – À l’occasion du centenaire de la parution du premier numéro de la collection, la Ville de Fontenay-aux-Roses a fait l’acquisition d’une série complète du « Livre de demain » éditée par la Librairie Arthème Fayard L’exposition retrace l’histoire de l’imprimerie Bellenand où ont été imprimés la majorité de ces titres (ainsi que les premiers exemplaires du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline ou le premier numéro du Journal de Mickey). Parmi les 53 artistes graveurs qui participèrent à la collection, Jean Lébédeff, artiste graveur français, né en Russie le 25 novembre 1884 et mort à Nîmes le 21 septembre 1972 a vécu près de trente ans à Fontenay-aux-Roses à quelques pas de l’imprimerie Bellenand. Cet artiste prolifique et de grand talent est celui qui a illustré le plus grand nombre d’ouvrages de cette collection populaire et bon marché. Il a également illustré de nombreux livres de bibliophilie dont plusieurs sont présentés dans l’exposition. Un parcours chronologique permet de découvrir les auteurs et les illustrateurs présents dans la collection, complété par des vitrines consacrées aux auteurs et illustrateurs notoires, ainsi qu’aux matériels de gravure et de typographie, outils et bois gravés permettant la découverte de la technique de la gravure sur bois et de son impression. La collection complète des 235 ouvrages du LIVRE DE DEMAIN, récemment acquise par la Ville, sera présentée à cette occasion. Site web : https://www.mediatheque-fontenay.fr/

Le fil de soi

« Fil de soi » rétrospective de Francine Minvieille
17 au 28 juillet 2023
Salle des Sapinettes 17450 Fouras-Les-Bains

Le titre donné à une exposition rétrospective, surtout si l’artiste lui-même préside à son agencement, est un bon révélateur de sa personnalité. Celui choisi par Francine Minvielle, allusif aux Parques de la mythologie grecque et ludique par homonymie, déroule le destin de cette gentille et affable bourlingueuse aux quatre coins du monde qui a posé ses pénates aux rivages maritimes charentais depuis dix ans. Ce fil elle le débobine de la mémoire de son père, rescapé d’un camp d’extermination japonais, à sa sortie de l’école des Beaux-Arts de Versailles à l’heure où certains s’endorment déjà sur la méridienne d’un fauteuil transatlantique. Elle, au contraire, cultive depuis et toujours ses multiples talents. Elle les a ordonnés – n’en perdons pas le fil – dans la petite salle lumineuse des Sapinettes qui jouxte la grande plage de Fouras en une trame où se mêlent plusieurs médias : l’écriture, la photographie, la peinture et l’estampe.

Une partie de l’exposition (Cl. Francine Minvielle)

Toutefois, l’estampe tisse maintenant une part prépondérante dans son travail. Les impressions d’encres sur le papier la passionnent. Elles lui servent surtout à rehausser son expression et non à la reproduire en multiples exemplaires. Comme elle l’affirme : « Il y a l’estampe, mon lien indéfectible avec la gravure que j’ai découverte sur le tard et qui ne me lâchera plus. Ici, dans les deux séries « Méandres » et « Fil de soi », il s’agit plutôt d’apposer dans l’encre un matériau et d’en recueillir l’empreinte sur papier. Ce matériau s’apparente à du textile qui est préalablement déchiré, effiloché et encré pour enfin imprimer la forme picturale souhaitée. Ces impressions sont réalisées sur d’anciennes couvertures de livrets japonais du XIXe siècle dont les écrits encore visibles, sont partiellement et volontairement camouflés. » On l’aura compris, le fil qui relie tous les travaux présentés ici trouve sa source dans le geste de la main qui écrit, dessine ou peint et dont les traces se transcrivent aussi en caractères typographiques dans des livres ou des coupures de presse. La peinture et le monotype viennent ainsi souligner, fixer ou effacer les souvenirs de tous ses discours intérieurs.

« Matricule 3307 » de Francine Minvielle (Cl. Francine Minvielle)

Parmi ceux-ci, celui de l’amour filial n’est pas des moindres. On le sent vibrer dans l’installation « Matricule 3307 » composée d’une quarantaine de feuillets mobiles choisis dans les mémoires écrits paternels. Ceux-ci dialoguent avec les surimpressions de l’artiste qui les révèlent, les subliment ou les occultent. Un livre d’artiste fabriqué en un unique exemplaire les accompagne et en reproduit en cinq monotypes l’essentiel. Comme beaucoup d’artistes d’aujourd’hui, Francine Minvielle transgresse les catégories où l’on clôt trop souvent les disciplines artistiques. Dans cette exposition, l’estampe en unica est devenu ce fil subversif qui court sur toute sa présentation comme sa peinture l’est sur ses kimonos de soie ou ses manipulations d’anciennes photographies. Elles brossent ainsi une sorte d’auto-portrait où les jours s’enfilent paisiblement sur les rivages du pertuis d’Antioche dans la trame de ses souvenirs.

Claude Bureau

Graver la lumière

« La fuite en Égypte » de Rembrandt-Segers (Cl. Guy Braun)

« Graver la lumière – L’estampe en 100 chefs-d’œuvre »
du 5 juillet au 17 septembre 2023
Musée Marmottan Monet 7500 Paris

Il faut absolument faire découvrir à tous ceux qui ne connaissent pas l’art de l’estampe cette très impressionnante exposition. Aujourd’hui où l’image envahit notre espace quotidien, un retour aux sources s’impose. La centaine d’œuvres magnifiquement présentées forme une synthèse de ce qui constitue l’histoire des maîtres de l’estampe. Pour un amoureux de la chose gravée, on y est comme à la maison, tout le monde est présent : Dürer, Rembrandt, Callot, Piranèse, Goya, Bresdin, la plupart des peintres-graveurs de leur époque et j’en oublie. Ce parcours repose sur une double approche de l’estampe, à la fois cheminement historique des préoccupations de chaque période et parcours plus didactique des pratiques de cet art majeur. Ainsi une des dernières salles de l’étage offre un lexique des techniques, illustrées de vidéos et d’une vitrine où sont rangés les outils du graveur.

Une vue de l’exposition (Cl. Guy Braun)

En descendant dans la dernière salle, on découvre l’art de l’héliogravure et son utilisation en photographie. Outre la technique détaillée de l’aquatinte, cette mise en valeur de l’image photographique, surtout axée sur les travaux des artistes américains de l’école Camera Work (Steichen), permet de revenir au thème qui devait éclairer notre parcours : la lumière.

Or, c’est le titre de l’exposition justement qui m’inspire quelques réserves. En effet, le sujet était passionnant mais il s’efface souvent au profit de l’histoire de l’art ou de l’évolution des techniques de l’estampe. Le découpage du très beau catalogue est d’ailleurs révélateur de ces hésitations. De ce point de vue, la section sur le classicisme français est assez déroutante : on y trouve certes Callot (même si je le classe plus volontiers chez les maniéristes aux côtés de Bellange et Juste de Juste), Nanteuil et Mellan (« la Sainte Face »), mais aussi bizarrement Morandi. J’ai noté d’autre part l’absence de la gravure en bois de bout ? Peut-être toutes ces lacunes résultent-elles des choix originaux du collectionneur William Cuendet qui constitua ce premier fonds alimenté ensuite par sa fondation et l’atelier de Saint-Prex (Suisse). Le catalogue révèle d’ailleurs que cette exposition reprend de façon augmentée une exposition de 2017 dont le titre Impressions fortes me semblerait plus cohérent avec l’accrochage.

Une autre vue de l’exposition (Cl. Guy Braun)

Amis graveurs, accompagnez donc vos proches pour leur permettre d’apprécier la richesse de l’exposition et leur éviter de se perdre dans l’abondance des références. Je pense particulièrement à quelques œuvres qui mériteraient des commentaires plus détaillés. Ainsi la découverte de la Fuite en Egypte de Rembrandt perd une partie de son intérêt si l’on ne connaît pas l’histoire de l’appropriation de la plaque de Segers (Tobie et L’ange), grattée et regravée en partie par Rembrandt.

Guy Braun