Le Val de Loing (Bourron-Marlotte)
Si Grez-sur-Loing fut, à l’image de Barbizon, un centre d’attraction majeur pour les artistes, d’autres petits villages de la région ont accueilli des artistes, comme Marlotte (aujourd’hui Bourron-Marlotte). Un nom, cité dans l’ouvrage de Mario Proth, “Voyage au pays des peintres”, qui présente le Salon des beaux-arts de 1875, au Palais de l’industrie à Paris, retient notre attention : C’est Heseltine, celui de deux frères, graveurs paysagistes anglais qui fréquentèrent la région, spécialisés dans la manière de l’eau-forte, alors dans l’air du temps. À ce propos, citons quelques lignes de Mario Proth qui, après avoir évoqué la taille directe au burin, avec le constat interrogatif que « Son exposition n’est ni bonne, ni mauvaise. Le temps est passé des estampes merveilleuses. Quand reviendra-t-il ? D’autres siècles peut-être le reverront. », conclut quelques évocations d’artistes par cet aparté : « En somme, la gravure moderne, très-habile, très savante, respectueuse des bonnes traditions, ne nous offre rien de transcendant. » Mais son adhésion à l’estampe est ailleurs, ce qui lui fait écrire : « Une invasion charmante et que nous bénissons à chaque occasion nouvelle, c’est celle de l’eau-forte. Reléguée longtemps au musée des souvenirs et étrangetés du temps jadis, l’eau-forte a eu tardive, mais rapide et triomphante, sa renaissance romantique. Des artistes tels que Flameng lui ont rendu la vie ; des éditeurs de bonne volonté, Cadart en tête, lui ont rendu le mouvement. Le monde de la grande librairie lui a fait fête. Elle a repris la vogue, et il n’est guère de peintre désormais qui n’essaie pour sa pensée ce mode original de traduction. Aussi l’exposition d’eaux-fortes devient-elle chaque année plus importante et mieux fournie. M. Legros, nous l’avons dit et le redisons volontiers, est le maître de l’eau-forte moderne, et nous recommandons tout spécialement aux amateurs l’intéressante notice publiée sur Legros aqua-fortiste par M. Poulet Malassis. Avant tous, l’auteur de La Petite Marie méritait une récompense. Mais encore une fois pourquoi se laisse-t-il oublier à Londres? MM Courtry et Le Rat ont enlevé les médailles. Et l’on a vivement admiré les eaux-fortes de MM. Lançon, Bodmer, Maxime Lalanne, Querroy, Polémont, Laguillermie, Gustave Greux, Heseltine. »
Heseltine ! Ne sachant lequel des deux frères est évoqué ici, nous citerons d’abord John Postle (1843-1929) qui, de passage dans la forêt de Fontainebleau en fit, de 1878 à 1897, une soixantaine d’eaux-fortes. Le château-musée de Nemours en possèderait trois, gravées entre 1882 et 1894.
Paysage rural, près de Marlotte, John Postle Heseltine (1911),
eau-forte – 19,6×29,8 cm, The British Museum
John Postle est issu d’un milieu familial de grande sensibilité artistique, avec un grand père maternel, William Norfor, grand amateur d’art, et une mère, Mary, qui avait reçu l’enseignement du dessin de John Bernard Crowe, oncle de John Berney Ladbrooke (1803-1879), son propre professeur de dessin (et de français). Envoyé en 1859 (il a seize ans) en Allemagne, à Hanovre, pour apprendre l’allemand, Il aurait alors été initié à la gravure sur cuivre par le major van Usslar-Gleichen. Son parcours est dès lors exemplaire. Exposant sa première eau-forte à la Royal Academy en 1869, il rejoignit le Etching Club en 1877, avant d’être membre fondateur en 1880 de la Society of Painter-Etchers. Il fut aussi un grand collectionneur d’œuvres d’art et, à partir de 1893, sera nommé administrateur au conseil de direction de la National Gallery à Londres.
Moins connu en Angleterre que son frère John, Arthur Joe (1855-1930), marqué par l’exemple de son aîné, qui fut déterminant dans son orientation, devint une figure marquante de la région Sud Seine & Marnaise.
Son tempérament anglais l’engageait à être lui aussi paysagiste. C’est à la suite d’un apprentissage de peinture en 1873 à Paris, où il fut l’élève de Carolus Duran, l’un des membres fondateurs de la Société des Beaux-Arts (SNBA) avec Jean-Charles Cazin et John Postle, qu’il découvrit dès 1874 la région de Grez où, durant près d’une année, il résida à l’Hôtel Chevillon en compagnie de nombreux artistes. Mais son esprit était en quête de paysages nouveaux, propres sans doute à le séduire. Ce ne sera qu’après sa découverte de l’Italie, en 1877, et un long périple en Grande Bretagne, effectué après son mariage en 1882 avec Célie-Caroline, fille du sculpteur et lithographe Louis Guillet et sœur de Marie, l’épouse de Jean-Charles Cazin, qu’il fera son choix de résidence et s’installera à Marlotte, y achetant en 1899 une petite propriété où il aménagera un atelier, doté d’une vieille presse taille-douce.
Il y aura pour voisin un compatriote peintre, Henry Edward Detmold (1854-1924), rencontré dans l’atelier de Carolus Duran et également séduit par la région.
Par ailleurs sociétaire du Salon national des Beaux-Arts en 1900, la renommée locale de Arthur Joe Heseltine fut importante, et le château-musée de Nemours possède, en dehors d’un certain nombre de ses œuvres, un beau portrait de lui, peint par l’anglais Allan Deacon (1895-1914), une huile sur toile de 1,2×1,04 m.
Portrait de l’artiste par Allan Deacon (1898) Château-Musée de Nemours
Photo RMN-Grand Palais René-Gabriel Ojéda.
« Marlotte » – Arthur Joe Heseltine, eau-forte (1894) – 16,8 x 20,8 cm
Recueil ‘Fontainebleau et ses environs »
(Collection particulière, Cl. Gérard Robin)
En 1993, une grande exposition lui fut consacrée, organisée par le conservateur d’alors, Jean-Bernard Roy. Celui-ci avait écrit dans le catalogue, évoquant ses eaux-fortes : « Ses paysages sont parfois rendus d’une manière un peu sèche, mais toujours d’une extrême fidélité ; les dessins préparatoires aussi précis et exacts que possible en témoignent ». S’y ajoutant, sous la plume de Claudie Pugliesi-Conti, ce commentaire : « Il nous laisse l’œuvre d’un paysagiste séduit par le charme rural de l’Île-de-France, sans surcharge anecdotique, ce qui permet d’apprécier la clarté de son trait. La présence humaine est rare dans son œuvre, toujours discrète. La construction de ses dessins fait penser à J. Constable : un premier plan vide qui invite à entrer dans le paysage puis des éléments horizontaux, des barrières par exemple qui lui donnent sa solidité. »
Arthur Joe vivra à Marlotte jusqu’à sa mort (une voie du village lui a été dédiée, dite Passage Heseltine), parcourant la campagne, exprimant, comme le souligne Claudie Pugliesi-Conti dans son texte : « … le bonheur paisible que lui procure la nature, avec son crayon, et sa pointe de graveur – puisqu’il pratiquera beaucoup l’eau-forte, technique qui connut un renouveau au XIXe siècle avec les artistes romantiques influencés par l’Angleterre. » J’ajouterai que les gravures de Heseltine me semblent être aussi, en regard de sa sensibilité, œuvres de peintre, en plus d’être souvent témoignages d’un passé aujourd’hui en partie masqué par le présent, et parfois donc de nostalgie pour qui habite en ces lieux.
« Bourron » John Postle Heseltine (septembre 1894) eau-forte – 19,8×26,7 cm Recueil « Fontainebleau et ses environs »
(Collection particulière, Cl. Gérard Robin)
Heseltine imprimait lui-même ses gravures, et celles-ci, il faut le reconnaître, n’ont pas la qualité d’impression que leur aurait donnée un maître-imprimeur comme le Nemourien Adolphe Ardail (1835-1911), que nous évoquerons dans le prochain opus. Tirées en peu d’exemplaires, les eaux-fortes étaient parfois rassemblées en recueils, offerts par l’artiste à ses amis à l’occasion des fêtes de fin d’année.
(À suivre)
Gérard Robin