Le chêne et l’atelier

La presse des tailles d’épargne (Cl. Claude Bureau)

Il n’y a plus de chêne dans cette rue qui fut naguère un chemin agricole pour franchir à gué le ru de Marivel dont le lit divaguait d’ici jusqu’à la Seine. Depuis, l’urbanisation a érigé l’imposant talus de la ligne de chemin de fer Paris-Montparnasse-Versailles, des tours et des barres d’immeubles d’habitation. Au numéro un de cette rue du Gros Chêne, l’« Estampe de Chaville » a élu domicile.

Pendant un bel après-midi ensoleillé, une visite à cet atelier s’imposait. Après avoir composé le digicode indispensable pour y entrer, pénétré dans le hall carcéral de l’immeuble bardé sur tout son périmètre de batteries de boîtes à lettres et de trois doubles portes d’ascenseurs qu’il vaut mieux éviter, grimpé un escalier en colimaçon cubique, appuyé sur la sonnette, ouvert la porte d’entrée et avoir suivi une coursive aveugle où s’accrochent de nombreux encadrements d’estampes, André Bongibault, directeur des lieux, Jean Benais, président de l’association et Hélène Baumel, animatrice de la taille d’épargne, accueillent chaleureusement le visiteur dans un grand vestibule où débouchent toutes les parties de l’atelier dont, à dessein, les portes ont été ôtées afin de laisser la lumière guider chacun vers ces endroits où se créent et s’impriment les estampes.

Dans ce vestibule, s’imposent deux grands meubles où dans leurs tiroirs se rangent les estampes des artistes de l’atelier pour se prêter à l’admiration des amateurs de passage. Au-dessus de ceux-ci des catalogues, des documents et des flyers présentent les activités de l’association. Sur la droite, s’élève jusqu’au plafond un grand coffrage parallélépipédique en contreplaqué brut où se resserre la boîte à grains des adeptes de l’aquatinte. Après une pièce de service ouverte depuis le centre du vestibule, se découvre une grande pièce abondamment éclairée par une grande baie vitrée et une porte-fenêtre qui donne sur le balcon périphérique extérieur. Cette pièce est réservée à la cuisine avec son grand évier à double timbre et aux acides. Sur le plus grand mur deux grands bacs métalliques noirs munis d’un couvercle de la même couleur attendent les plaques pour leur bain de perchlorure de fer, l’un pour le zinc, l’autre pour le cuivre. Devant la fenêtre, le râtelier des gants pour la protection des mains agiles patiente.

L’élaboration des gravures (Cl. Claude Bureau)

Sur la droite de la pièce de service, d’une dimension semblable et éclairé par la même lumière naturelle que le laboratoire aux acides, s’offre dans son ordre clinique l’espace dédié à l’impression des tailles d’épargne, bois ou linoleum. Dans son centre, parfaitement dégagée trône une antique presse cliquetant les engrenages de sa multiplication avec boulonnés sur sa table de tirage deux forts rails en acier sur lesquels repose le rouleau supérieur. Sur l’un des murs, une grande vitre de roulage s’accompagne de tout un jeu de rouleaux à encrer de diverses dimensions. Cette salle se prolonge ensuite sur un très grand espace où se préparent et se gravent les matrices avec ses tables de travail, ses chaises, sa dizaine de châssis translucides qui surplombent les ouvroirs dans la lumière artificielle ou solaire de cet après-midi où officient quatre stampassines masquées qui peaufinent leur plaque gravée.

Sur la droite du vestibule, le deuxième grand espace de l’atelier est voué aux impressions en taille-douce. Sur le mur de gauche s’étagent les rayonnages où s’alignent les encres, puis, sous les fenêtres se repose une batterie de vitres d’encrage. De l’autre côté sur le mur aveugle, des tiroirs plus ou moins maculés de traces de doigts entreposent les feuilles de tirage vierges à côté d’un point de puisage et d’un grand bac de trempage du papier. Au centre du plancher, installées très à leur aise, les deux presses taille-douce espèrent leurs prochaines épreuves : la moyenne avec ses bras multiples rayonnants, la plus grande, avec son volant et son engrenage démultiplié, fabriquée par Richebé.

La grande presse des tailles-douces (Cl. Claude Bureau)

Ainsi sur ce premier étage, jour après jour, s’élaborent les travaux qui seront exposés lors de la prochaine biennale de l’« Estampe de Chaville » décalée à l’automne 2022 pour cause de pandémie. Si les arbres centenaires ont disparu de la rue du Gros Chêne à Chaville, l’atelier des estampes est lui encore bien vivant sous la tour de dix-huit étages qui l’abrite aujourd’hui.

Claude Bureau