La salle de conférence, côté public (Cl. Gérard Robin)
BnF – site Richelieu
5 rue Vivienne 75002 Paris
Assemblée générale
Ce seize mars deux mille vingt-quatre concerne les élections de la Fédération nationale de… l’estampe, bien sûr ! Nous voici donc dans le cadre de l’assemblée générale annuelle de Manifestampe, à une date qui marque ses vingt ans d’existence et qui sera ici, vous le devinez, sereine, ouverte et constructive. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement, en ce lieu prestigieux du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France, dans sa belle salle de conférence, dont les hautes baies à petits carreaux laissent entrer des fragments de la lumière ensoleillée du dehors, qui s’étirent sur le parquet, nimbant la salle d’une douce clarté. Une veille de printemps qui participe à l’ambiance. La présidente et les membres du bureau qui, après plusieurs années de bons et loyaux services et l’envie de se consacrer plus pleinement à leur propre travail créatif, ne briguent pas un nouveau mandat. Et de nous accueillir, du haut de leur estrade, Rosemary Piolais, la présidente, Pascale Simonet, la vice-présidente, Violaine Fayolle, la secrétaire et Khedija Ennifer-Courtois, qui abordera la situation financière, précisant que les pièces comptables sont à disposition1.
Le bureau sortant avec, de gauche à droite : Khedija Ennifer-Courtois,
Violaine Fayolle, Rosemary Piolais et Pascale Simonet (Cl. Gérard Robin)
Le public présent sera attentif au déroulement de la séance et aux résultats donnés, dans une ambiance conviviale. Il n’est point ici question d’entrer dans les détails chiffrés de la comptabilité, que l’on pourra trouver ailleurs, et qui ont été développés, montrant un bilan globalement positif, et un budget prévisionnel dans cet esprit. Au regard des adhésions, Manifestampe montre l’intérêt qu’elle suscite, en France et même ailleurs. Retenons que son site, « véritable maison virtuelle » de l’estampe et de ses acteurs, en est un atout majeur, annonçant les événements qui lui sont indiqués, proposant des articles dans le magazine « Vu & Lu… pour vous » et suscitant annuellement plusieurs milliers de fréquentations. Quant à la Fête de l’Estampe, soutenue par le Ministère de la Culture, elle a eu à son actif plus de 200 manifestations en 2023. Précision sera faite des moyens donnés aux participants pour faciliter leur communication (logo, affiches, focus, annonces sur site, etc.) À l’initiative de la présidente et dans ce cadre, une bourse est envisagée, pour être attribuée, en partenariat avec le Géant des Beaux-arts, à cinq jeunes artistes de moins de 30 ans participant à cette fête.
Et n’oublions pas, les activités master class « Catalogue raisonné » et « Estampe », respectivement animées par Maxime Préaud et Michel Henri Viot, qui complètent l’action fédérative ainsi que la table ronde avec les responsables d’association en automne 2023. Manifestampe, au travers de son rapport d’activité et d’orientation, montre une fois de plus sa nécessité d’être et sa dynamique reconnue, visant à la promotion de l’art de la « stampagraphie » (j’ose le mot !), dans ses manifestations et dans tous ses états.
Vint ensuite l’appel aux candidatures, celles à renouveler ou celles nouvelles, sur lequel le vote devait porter : Marie Akar, Luc-Émile Bouche-Florin, Karianne Brevick, Karen Ganilsy, Valérie Honnart, Jean-Pierre Lourdais et Charlotte Massip. Et chacun, chacune, de se présenter, dans sa personnalité et ses compétences. Un bon cru pour la fédération, à n’en pas douter… Restera la formation du bureau lors du premier conseil d’administration à venir. L’instant est alors celui de la récupération des bulletins.
Signalons la présence dans le public de Joseph de Colbert, président de l’association « Les Amateurs d’Estampes », créée en 2017 et centrée sur le monde des collectionneurs d’estampes anciennes et contemporaines. Leur assemblée générale s’était d’ailleurs tenue dans la même salle quelque quatorze jours plus tôt. Le président de Colbert nous informa de leur participation, avec le Comité national de l’estampe, à la troisième édition de la « Paris Print Fair » au réfectoire du Couvent des Cordeliers, organisée par la CSEDT (Chambre Syndicale de l’Estampe, du Dessin et du Tableau), où exposent une vingtaine de galeries européennes, et où sera décerné le « Prix Henri Beraldi de la recherche sur l’estampe », couronnant une thèse de doctorat dédiée, soutenue dans une université française, ou un ouvrage (essai ou catalogue raisonné) publié en France. Rappelons qu’Henri Beraldi (1849-1931) fut un homme de lettres, fondateur et président de la Société des livres ; il fut aussi bibliophile, et collectionneur d’estampes. Deux « Vu & Lu », émanant de Maxime Préaud, évoquent l’un la « Paris Print Fair »2, l’autre la remise du Prix Henri Beraldi3, qui fut remis le 21 mars 2024 à l’historien de l’art Yvon Le Bras.
Table ronde thématique
L’assemblée générale se termina, laissant place à une table ronde (rectangulaire) sur le thème : « Art imprimé ou Pratiques contemporaines de l’estampe ». Elle accueillera, sous le regard du médiateur Claude Bureau, membre du CA et dans l’ordre des interventions : Saïd Messari, artiste marocain résidant à Madrid ; Jean-Marie Marandin, artiste graveur et linguiste, et Cécile Pocheau-Lesteven, conservatrice au département des estampes de la BnF.
La table ronde avec, de gauche à droite : Saïd Messari, Jean-Marie Marandin, Cécile Pocheau-Lesteven et Claude Bureau (Cl. Gérard Robin)
Un thème intéressant car l’art, au cœur et à l’image de l’environnement sociétal, est en évolution permanente. Un mouvement insidieux qui peut parfois échapper à l’artiste traditionnel stampassin, dans l’isolement de son atelier, tout à son temps passé à l’inscription, dans ou sur la matière, de son imaginaire, puis du transfert assorti d’états souvent nécessaires sur le papier. Les salons où l’estampe est exposée ne sont pas toujours évocateurs de la transformation qui s’opère ailleurs dans les arts, qu’ils soient plastiques ou autres, et dans lesquels l’estampe peut s’insérer et, peut-être (c’est mon avis) se perdre… Je vais tenter de résumer les propos des intervenants4.
Le premier, Saïd Messari, évoqua la situation difficile de l’estampe traditionnelle, notamment en Espagne, dans un marché lié à une classe moyenne en perte de pouvoir d’achat. Avec pour conséquences des fermetures de galeries, ou comme pour le grand salon madrilène, « Estampa », qui avait été créé en 1992 pour être consacré, comme son nom l’indique, à la seule estampe, devenant aujourd’hui une grande foire internationale d’art contemporain. Subissant cette évolution, l’artiste est souvent amené, pour vivre de son art, à considérer l’acte de gravure comme un champ possible de recherche et de développement dans un travail créatif susceptible, au sein des arts plastiques, d’attirer l’intérêt du public. L’atelier devient alors laboratoire d’expérimentation où les techniques de bases s’effacent pour faire place à des approches non traditionnelles au travers des textures graphique, picturale et sculpturale. Lui-même utilise à cet effet des plaques offset d’imprimerie, qu’il récupère au moindre coût et recycle en utilisant l’envers. Il insiste alors sur le rôle du papier, dans la fabrication de sa pâte et le type de séchage, pour en modifier la structure et l’adapter à son dessein. Selon « un concept allant de la gravure dans la sculpture, à la sculpture dans la gravure ». Une approche donc novatrice du mode estampe.
Le deuxième, Jean-Marie Marandin, qui se définit (lors d’une conférence à la Fondation Taylor) comme « linguiste dans une première vie, graveur dans la seconde », est un fin connaisseur des états de l’art et de sa compréhension. Il s’est déjà manifesté dans « Vu & Lu » par ses articles. Appuyant son discours sur des projections de textes et images, il traitera de la « Vitalité des médiums d’impression (dans le paradigme) de l’art contemporain ». Des propos qui montrent que l’estampe, lorsqu’elle est jugée en obsolescence, doit être réinventée, pour devenir un médium plus conceptuel, où l’image se révèle impressionniste, dans une présentation qui s’ouvre naturellement sur autre chose que prévu, dans une présence parfois polysémique. Cela en profitant du fait que la technique permet d’obtenir, à partir d’une même matrice lors du transfert, des tirages différents, qui peuvent être répétés, assemblés. Une configuration qui ferait dire à l’artiste : « Quelque chose qui était présent laisse en se retirant une marque de son passage et donc de son existence : ce qui était présent est maintenant absent ». Ce qui est là : « Le lien imaginaire des médiums d’impressions avec le souvenir, le manque, la perte, le deuil ou la mort. »
Avec le constat cette fois matériel que, pour gagner en lisibilité, les formats s’agrandissent pour quitter la structure plane et mieux s’inscrire dans le volume, ou participer là encore à des installations ou des performances. Nombre d’artistes sont cités, comme Andy Wahrol, mais je resterai sur celle, exemplaire, de l’artiste belge Camille Dufour, basée sur un grand bois (2 x 1 mètre) : « Eaux anonymes » (2022), évoquant le thème dramatique actuel de la “migration”, et imprimé sur toile avec comme encre le suc extrait de fleurs et de plantes. Une installation qui comprend l’estampe en cimaise, la matrice au sol, telle une pierre tombale, et les végétaux utilisés. Une œuvre suggestive, magnifique et lourde de sens, en hommage aux disparus en mer.
La troisième, Cécile Pocheau-Lesteven, conservatrice, partage la même vision de l’estampe contemporaine, qu’elle juge vivante, née cycliquement de phases d’obsolescence et de phases de renouveau, et qui est généralement issue d’un mode d’expression venant d’artistes qui ne sont pas de purs estampiers. L’exemple de Camille Dufour sera là encore évoqué, mentionnant une autre de ses créations graphiques, qui évoque, par quatre grandes xylographies, la guerre de Syrie au travers des ruines d’Alep, avec une édition multiple d’estampes réalisée symboliquement avec l’usage du savon aleppin comme baren ; imprimée en séries sans encrage renouvelé, la disposition spatiale en séries suspendues viserait à un effacement mémoriel, hommage aux victimes, marquant une impossible réparation.
Cette estampe contemporaine est un médium chargé de messages qui concernent le monde d’aujourd’hui. Il s’intègre à des pratiques des plus diverses tout en y imposant une présence particulière et forte. On s’éloigne de la bi-dimension vers quelque chose qui en appelle à tous les sens et qui est multiforme. Ce qui implique une gestion différente du point de vue de la conservation, qui doit s’adapter à l’évolution des pratiques et des volumes d’espace à disposition. En raison des dimensions souvent importantes des estampes, des supports d’installations variés et fragiles, tout ne peut donc être gardé à la BnF : comme il en est, par leur grandeur, de bois gravés ou de matrices en métal (hors certaines de valeur historique), à moins que cela ne trouve place dans des musées.
J’espère que mon analyse, forcément subjective, traduit avec le plus de justesse possible les propos exprimés. J’ajouterais, pour résumer mon impression générale, que l’estampe, dans l’art contemporain ― et pour trouver une correspondance avec la musique ― ne serait plus une fin en soi, elle serait devenue un instrument particulier ou majeur d’une orchestration graphique ou plastique ; elle est alors dans ce cas une composante qui participe, telle un piano ou un violon, au narratif visuel, et à l’émotion de la composition. En l’état, ce fut une table ronde didactique, passionnante, qui permet d’apporter un éclairage aux ressentis que l’on peut éprouver devant cette estampe nouvelle.
La soirée se termina dans la galerie Gallix, au 5 rue Pierre Sémard 75009 Paris, siège de la société éponyme, qui réalise des films sur l’estampe, comme la collection « Impressions fortes », conçue par Bertrand Renaudineau et Gérard Emmanuel da Silva.
Espace Gallix, à droite au premier plan,
Jeanne Rebillaud-Clauteaux (Cl. Gérard Robin)
Cela autour du verre de l’amitié, mais aussi au cœur d’une belle exposition d’œuvres gravées de Jeanne Rebillaud-Clauteaux. Celle-ci est bien sûr présente. Avec sa simplicité et son talent, chantre de la suggestion des corps, de l’apparition de silhouettes dans l’instantané d’une attitude ou d’un passage, que sa pointe sèche évoque dans un jeu de gris subtils. Ce fut pour moi source de souvenirs, lorsqu’elle fut en 2012, lauréate du « Prix Jeune Gravure » au Salon d’Automne ; lorsqu’elle reçut en 2015 le « Prix Kiyoshi Hasegawa » à la Fondation Taylor, ou encore dans la galerie « L’Angélus » de Barbizon…
Ainsi fut close une belle journée stampassine, riche d’événements.
Gérard Robin
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