L’estampe tout simplement

Exposition Raúl D.
14 septembre-30 novembre 2019
URDLA
207 rue Francis-de-Préssensé,
69100 Villeurbanne
www.urdla.com

URDLA , centre d’art dédié à l’estampe, présente, du 14 septembre au 30 novembre 2019 à Villeurbanne, une exposition de Mark Geffriaud : Raúl D. C’est ce qu’on lit dans les documents présentant la quinzième biennale d’art contemporain de Lyon : Raúl D. y a le statut d’exposition associée. Mais, ce n’est pas exactement ce qu’on voit : ce n’est pas URDLA qui expose Raúl D., c’est Raúl D. qui expose l’atelier de URLA : un atelier de taille-douce, typographie et lithographie logé dans une ancienne usine de tulles remodelée en centre d’art en 1986.

Vue générale (Cl. Jules Roeser©)

Raúl D. n’expose pas des estampes, mais un atelier où se fabriquent des estampes. Un atelier dans toutes ses dimensions : les machines et les outils (diverses presses, des lignes de composition au sol, des rogatons de crayons litho, des pointes sèches bricolées, etc.), la mémoire de l’atelier (les pierres de l’entreprise de lithographie commerciale en faillite rachetée par l’association qui a fondé URDLA et conservée dans l’impressionnante lithothèque de l’atelier), les humains qui y travaillent (un taille-doucier affairé à tirer une épreuve d’un grand cuivre le jour de ma visite) et même des imprimés (des épreuves d’image en cours, des séries d’estampages ou de contre-marques).

T-shirt (Cl. Mark Geffriaud©)

Mais, cette description n’est pas encore exacte, car l’exposition Raúl D. n’est pas une exposition. Mark Geffriaud n’expose pas l’atelier comme on expose d’ordinaire des œuvres d’art, ou une institution (l’atelier d’un centre d’art) et les pratiques artistiques qu’elle abrite. Il n’expose pas, il fait voir. Il fait voir l’atelier ; il le fait voir au ras de son existence matérielle : la beauté méticuleuse des machines, la tendresse que les graveurs ont inscrite dans leurs outils de main, la vérité d’empreinte sans laquelle il n’y aurait pas d’image imprimée, l’énigme des lignes de composition pour qui ne sait pas lire à l’envers. Il fait voir en déroulant une cloison de tissu qui est aussi un écran, en projetant des vidéos qui sont des rectangles de lumière en attente d’images ou des lignes en attente de phrases, en donnant aux presses la présence majestueuse de sculptures, en transformant des cimaises de stockage en installation moderniste, en déroutant les visiteurs qui s’attendent à voir des œuvres et qui voient des épreuves accrochées aux claies de séchage ou posées par terre ou sur les tables de travail.

Outils (Cl. Jules Roeser©)

Mais, la description n’est pas encore exacte : il fait voir ce qu’on ne voit pas. Il fait voir l’atelier de telle sorte qu’apparaisse « l’absente de tout atelier d’estampe » : l’image qu’imaginent les graveurs et les lithographes quand ils composent une matrice avant qu’elle ne s’incarne et se dissolve sous la presse. C’est la magie de cette « exposition » : rendre sensible grâce à un dispositif minimaliste (au sens que le minimalisme a donné à ce terme) ce que l’on ne peut pas voir : l’estampe comme désir et comme jouissance.

Jean-Marie Marandin