Prêteurs-emprunteurs

« Emprunts – empreintes »
Biennale de la Jeune gravure contemporaine
salon du Vieux-colombier – mairie du VI°
place Saint-Sulpice
75006 Paris
16 novembre au 4 décembre 2019

salon du Vieux-Colombier
et sa mezzanine (Cl. Claude Bureau)

Il est des expositions stampassines qui s’organisent sur une mise en espace très élaborée ; il en est d’autres, carillonnées à dates fixes, qui juxtaposent des œuvres harmonieusement mais sans souci de cohérence thématique ; il en est encore d’autres qui proclament, pour éclairer sans doute leurs visiteurs, dans leur titre un sujet bien particulier. Cette biennale de la « Jeune gravure contemporaine », qui se déroulait avec un an de retard au salon du Vieux-colombier, était de ces dernières. Trente-six stampassins, membres de la JGC et invités développaient, sur les murs de cette salle et sur ceux de sa mezzanine, espaces propices à une déambulation méditative, un bel ensemble de leurs travaux réunis sous cette bannière : « Emprunts – empreintes ».

Un des murs de l’exposition (Cl. Claude Bureau)

Cependant, au-delà de ce jeu de mots homophone, il était parfois délicat pour le visiteur, absorbé dans sa contemplation, de découvrir qui était le prêteur de l’emprunteur. Les plus évidents prêts procédaient d’un échange, explicite ou implicite, passé entre l’invitant et l’invité : comme entre Valérie Guimond et Julien Mélique qui se répondaient en un dialogue tragique et sanguinolent ; ou par le truchement du treillis d’un pont Bailey passé de chez Marie-Clémentine Marès à Sophie Villoutreix-Brajeux ; ou par l’usage de mêmes figures – celles d’un paysage végétal et d’un portrait (autoportrait) – chez Isabel Moutet et Dominique Aliadière. D’autres s’aventuraient dans la réminiscence ou dans la citation : sous la forme d’un patchwork de morceaux de maître chez Sabine Delahaut ; ou « La belle jardinière » du Louvre qui se laissait deviner sous les circonvolutions baroques du trait d’Albert Pema ; ou bien encore le simple prétexte du skyline de Venise qui était l’occasion de compositions colorées chez Jean-Pierre Tanguy. D’autres, enfin, empruntaient à leurs estampes mêmes ou à leur parcours antérieur des outils pour développer ce thème : l’épi de maïs orange qui laisse l’empreinte, vierge d’encre, d’un de ses grains sur une feuille de papier et qui roule ensuite, enduit d’encre noire, sur plusieurs feuilles blanches chez Antonio Bueno Gusto ; ou la poursuite par Éric Fourmestaux de la mémoire de la Shoah qui prend ici la forme d’un tétraptyque dénonçant l’un de ses criminels qui cachait après guerre, derrière un nom d’emprunt, Gregor Helmut, l’abomination des expérimentations du Dr. Mengele ; ou, enfin, un très énigmatique emprunt à la lecture dans une estampe de Pascale Simonet où s’associaient une phrase typographiée et l’image d’un possible encéphale dans laquelle trois petites plages rouges renvoyaient, par l’intermédiaire de lignes droites, aux graphèmes des déclinaisons du mot dire, image derrière laquelle semblait sourdre un visage. Voilà les emprunts qui ont retenu mon attention mais, sans doute, n’ai-je pas su en discerner bien d’autres présents dans toutes les empreintes accrochées dans la salle du Vieux-colombier.

une autre vue de l’exposition (Cl. Claude Bureau)

À remarquer dans cet ensemble gravé, comme une sorte de nouvelle manière, les douze menhirs d’Alain Cazalis, monotypes d’encre noire agrémentés d’un fil rouge et à signaler aussi les éditions 2019 de la « Jeune gravure contemporaine », deux tragiques et pessimistes estampes : « Amour-Amore (à Juliette G) », d’Éric Fourmestraux et « Pas tout dit », de Julien Mélique. Prochain rendez-vous au Vieux-colombier, en 2021, pour la prochaine session biennale de la JGC.

Claude Bureau