Terrasse à Rome

“Terrasse à Rome”
Roman
Pascal Quignard
Éditions Gallimard (2000) / Folio

L’estampe est un domaine qui, encore aujourd’hui, demande toujours à être mieux connu du grand public. J’ai toujours regretté que le célèbre éditeur d’ouvrages d’art “Citadelles-Mazenod”, n’ait pas déjà ajouté dans la collection “L’Art et les Grandes Civilisations”, un ouvrage consacré à cet art majeur, dans son histoire, ses techniques et ses maîtres… Une action qui pourrait, pourquoi pas, toujours être initialisée, ce me semble, par des membres du Département des estampes de la BnF ou de la Chalcographie du Louvre et des spécialistes européens de l’art… J’avais aussi imaginé, cette fois, pour sensibiliser le grand public au travers d’une littérature plus accessible ou au goût du jour, – par exemple du récit romanesque au polar -, qu’il serait bien de pouvoir séduire un écrivain pour situer intrigue et action dans un antre de l’impression taille-doucière… Puisse ce message trouver de l’écho, et générer une inspiration dédiée originale ! L’estampe ne pourrait qu’en gagner en lisibilité.

Par contre, récemment, des amis graveurs à qui je rappelais cette pensée, m’ont fait part d’un “roman”, écrit par Pascal Quignard, l’auteur de “Tous les matins du Monde”, évoquant ici un graveur du XVIIe siècle, sorti de l’oubli ou né de l’imaginaire, Geoffroy Meaume [1617-1667], qui aurait été un contemporain du Lorrain Claude Gelée et de Jacob Callot…
Paru en 2000 aux Éditions Gallimard, il obtint cette même année le Grand prix du roman de l’Académie française, et fut réédité en Folio l’an passé. Pour un amateur de gravure, une grande tentation de lecture !

Je dois dire qu’au premier abord ce n’est pas une œuvre qui semble facile, car présentée au travers de chapitres très courts qui échappent souvent à la chronologie narrative, et réclament donc du lecteur une attention l’amenant à recomposer, dans son déroulement réel, l’histoire du personnage principal : Meaume le graveur. Une évocation qui, par ailleurs, apparaît bien ancrée dans l’époque, et apporte cet autre intérêt de découverte. Mais revenons à la trame principale du récit. Après des apprentissages chez Follin, à Paris, et chez Rhuys le Réformé, à Toulouse, le jeune homme avait approfondi la taille-douce chez Johann Heemkers, à Bruges. C’est alors qu’il avait rencontré Nanni, la fille d’un orfèvre de la ville, Jacob Veet Jakobsz. Il avait vingt-deux ans, elle dix-huit. Un amour fou, sensuel, qui fit oublier à la jeune fille que son père l’avait promise à son “commis de ruelle”, Vanlacre.

Surprenant les amants dans leurs ébats, celui-ci agressera Meaume, lui lançant au visage le contenu d’un flacon d’eau-forte. La défiguration par l’acide nitrique est extrême, et voici le jeune homme, meurtri dans son apparence et vite rejeté. Il se réfugiera avec son art, au terme d’un long voyage, sur une terrasse à Rome, sur le mont Aventin.
C’est cela que rapporte Pascal Quignard, faisant parfois appel à des témoignages, cette difficile existence au quotidien, heureusement rompue dans sa solitude, par des rencontres : celles d’Abraham Van Merchem, de Claude Gellée ou de Marie Aidelle, une compagne d’errance et d’attirance réciproque, inaccessible car habitée d’un “mauvais souvenir”,… et puis en permanence la gravure pour survivre, l’esprit taraudé par ses rêves et ses visions, par le rejet pour cause de laideur.

Cette narration, au travers de la présentation de tranches de vie ou de descriptions de gravures – un jeu de plume de funambule sur le fil d’une existence -, permet au lecteur de recomposer l’aventure, chaque séquence (il y en a 47) se lisant comme se regarde une gravure. Une “estampe” née d’une écriture d’orfèvre, incisive, où les mots pourraient s’apparenter aux traits du burin ou de la pointe “eau-fortée”, où l’essentiel est là pour partager la pensée d’un graveur devenu expert en son art, et dont la présence nous est ici restituée dans une vérité plausible.

Un beau texte, bref et intense, visionnaire et sombre, où apparaît aussi, en complément de l’eau-forte, l’utilisation de la “manière noire”, nouvellement inventée, et qui semble alors bien en osmose avec les pensées profondes de l’artiste, – bien qu’il n’en aurait fait que vingt-quatre ans -, en correspondance avec une quête de lumière, même infime et désespérée, dans les ténèbres de sa vie. Le lecteur est ainsi amené à ressentir, au travers du graphisme littéraire et du plaisir de lecture, une certaine vibrance au contact du vécu de ce taille-doucier, homme de souffrance. Dont la fin sera liée à une ultime rencontre, mouvementée, avec un jeune homme de belle allure qui l’agressera par erreur, venant d’être détroussé et se méprenant sur l’auteur du vol ! Il s’appelle Vanlacre, et était arrivé à Rome à la recherche de son véritable père… À lire ou à relire la suite dans “Terrasse à Rome”

Gérard Robin