Estampe sérigraphiée

La majorité du public use plus volontiers du vocable gravure que du terme estampe ; dire d’une image : «c’est une gravure» rassure l’éventuel acheteur, mais dire : «c’est une estampe» le plonge le plus souvent dans la perplexité. Des explications complémentaires à vocation pédagogique, du genre : «Pour créer une estampe, on peut graver une matrice. On peut aussi utiliser bien d’autres manipulations et transférer une image sur le papier sans procéder à aucune gravure.» Voilà une vérité qui replonge notre éventuel acheteur dans une perplexité plus grande encore. Dire : «c’est une lithographie» l’emporte peut-être dans des souvenirs de pierre ou d’écriture bien flous. Dire : «c’est une sérigraphie» augmente encore ses interrogations. Décidément, le monde de l’estampe, pour notre éventuel acheteur, ressemble à un monde peuplé d’énigmes. Et, devant la complexité de la chose, il hésite encore à concrétiser sa tentation d’achat.

Mothi Limbu, « Transmission » (Cl. ÉditionTchikebe)

Universalité de la sérigraphie

Pourtant, la sérigraphie, sans que nous le sachions, est bien présente partout dans la vie quotidienne et nos objets familiers : boîtes de conserve, flacons de verre où se gardent des fragrances rares ou des liqueurs capiteuses, tissus soyeux ou confortables, maillots de sportif, cartes de crédit, jouets d’enfant, ustensiles ménagers, cadrans des tableaux de bord d’automobiles, claviers manipulateurs de portables électroniques, affiches publicitaires, calicots des foires-expositions, voiles des catamarans géants, ballons colorés des montgolfières, etc. Bref, il n’est pas un domaine d’activité contemporaine qui échappe à la sérigraphie. Elle est de taille très modeste, comme le trombone frappé au logo de l’entreprise, ou plus considérable en longueur, comme les laizes de soie imprimée des carrés «Hermès» . En regard des surfaces sérigraphiées par l’industrie, la part de celles consacrées à l’art reste dérisoire.

Dans l’art, comme dans l’industrie, une des causes essentielles de son intérêt et de son succès réside dans la souplesse du procédé. Sans se perdre dans les détails techniques, la sérigraphie fonctionne, dans son principe, simplement. Il suffit d’un cadre sur lequel est tendu un écran, tissé de soie à l’origine, aujourd’hui de nylon, d’une table d’impression, d’une racle en matière souple, d’une surface support de l’image, du papier et, enfin, de l’encre, une encre plutôt épaisse. Préalablement à l’impression, les pores de l’écran sont obturés là où l’encre ne doit pas passer. Pour imprimer l’image, le cadre et son écran sont disposés sur le papier, l’encre est versée dans le cadre et la racle, passée sur la surface de l’écran, chasse l’encre sur le support au travers des pores laissés ouverts. L’image est ainsi transférée. Pour imprimer une image polychrome, comme celle de Roy Lichtenstein ci-dessous, plusieurs écrans seront nécessaires, en principe un par couleur.

Roy Lichtenstein, « Composition musicale II » (Cl. Cornette de Saint-Cyr)

La sérigraphie artistique

Dans le domaine artistique, le procédé sérigraphique jouit de tous les avantages de la lithographie traditionnelle sans en avoir les inconvénients, particulièrement dûs à la pesanteur des blocs de pierre et à l’encombrement de sa presse, il ajoute au rendu lithographique une souplesse qui se prête à toutes les expressions plastiques possibles.

Au vu de sa légèreté, l’artiste se constitue aisément son propre matériel et l’utilise dans son atelier. Il dessine directement sur ses écrans, ou il découpe ses pochoirs avant de les coller sur ceux-ci, ou bien il combine ces deux manières avant d’imprimer lui-même ses estampes. Toutefois, il peut aussi faire appel à un imprimeur sérigraphiste. En revanche, dans ce cas-là, en plus de la méthode manuelle de composer les écrans sérigraphiques, lui sera ouverte la possibilité de transférer sur ceux-ci son image par des moyens photographiques ou numériques. Avec ces procédés, pour peu que le papier choisi soit identique, il sera alors quasiment impossible de différencier les estampes sérigraphiées de l’image originale, comme, par exemple, la planche originale d’une bande dessinée en couleurs de sa multiplication sérigraphique. Avec la sérigraphie, tout est possible.

Jean-Claude Floc’h, « Hommage à Roy Lichtenstein »
(Cl. Cornette de Saint-Cyr)

Gagner la confiance de l’amateur

Tant pis diront les uns, tant mieux diront les autres. Comment alors notre éventuel acheteur, baignant de plus en plus dans une expectative impatiente, peut-il s’y retrouver ? Comme pour l’estampe lithographiée ou gravée, la confiance de l’acheteur repose seulement et nécessairement sur l’honnêteté de l’artiste, de son éditeur, de son imprimeur (taille-doucier, lithographe, sérigraphiste, etc.) ou de son galeriste. Cette confiance s’établit, au libre choix du créateur, sur le monogramme serti dans l’image ou sur une numérotation rigoureuse ou sur une signature olographe du tirage ou sur un certificat d’authenticité, etc. toutes choses destinées à rassurer notre éventuel amateur enfin décidé à acheter l’estampe proposée. Quant à la valeur esthétique de cette estampe gravée, lithographiée ou sérigraphiée, c’est une autre histoire qui dépend du talent de son créateur, sans doute, mais aussi de notre acheteur qui aura reconnu cette valeur ou qui ne l’aura pas appréciée.

Claude Bureau