Une exposition
En cette période de confinement comment ne pas penser aux “Carceri” de Piranese, plus que jamais d’actualité. Malheureusement je n’ai pas eu le temps de voir l’exposition, “Piranèse, un rêve de pierre et d’encre”, qui se tenait à la bibliothèque de l’Institut de France, quai Conti à Paris, jusqu’au 10 avril 2020, mais qui n’est plus accessible. Espérons qu’elle sera prolongée. Malgré tout, le livret de l’exposition peut être téléchargé au format pdf (à télécharger ici).
L’affiche de l’exposition (Cl. Institut de France)
Un livre
En attendant je vous propose une promenade à travers son œuvre avec pour guide Marguerite Yourcenar qui dans “Le cerveau noir de Piranèse” nous invite à la suivre dans une approche sensible et fortement documentée. Vous pourrez ainsi passer un bon moment de lecture avec, si possible, les reproductions sous la main. Cela vaut bien un audio-guide. Vous découvrirez pas mal d’artistes de son temps qui furent parfois ses précurseurs. Je pense à l’œuvre de Daniel Marot, “La prison d’Amadis”, ou Giuseppe Bibbina, “Architettura e prospectiva”. L’attrait de cet essai, outre le style littéraire, vient du fait que l’auteur ne s’extasie pas sur le génie et la modernité associée aux “Carceri”. Elle sait nous faire cheminer dans l’ensemble de l’œuvre que ce soit dans les vues de Rome ou à travers les créations d’objets et ornements qui occupèrent une grande partie de son travail. Loin de mépriser son côté archéologue avant la lettre, des représentations des vestiges de l’architecture romaine, nous découvrons avec elle à quel point la sensibilité de l’artiste ne peut se résumer aux deux séries des “Carceri”, elles-mêmes si différentes.
Plazza Navona à Rome (Photo-montage Guy Braun)
Lors d’un séjour à Rome en 2017, nous avons eu la chance de visiter l’exposition Piranesi : “La fabbrica dell’utopia” au Palazzo Braschi. Il y avait là, l’entièreté des gravures de Piranèse et comme les touristes préfèrent s’attarder sur la piazza Navona, en contrebas du musée, nous y étions à peu près seuls. Ce fut un délice de pouvoir observer de très près ce que Marguerite Yourcenar avait déjà perçu, “… c’est la ville elle-même, sous tous ses aspects et dans toutes ses implications, des plus banales aux plus insolites, que Piranèse a fixé à une certaine heure du XVIIIe siècle …”. De ces ruines surgissent “…la minuscule humanité qui gesticule.. Littéralement, la ruine grouille : chaque coup d’œil de plus révèle un nouveau groupe d’insectes humains farfouillant dans le décombre ou la broussaille » et l’auteur de lever l’aspect purement utilitaire de ces représentations classiques en architecture en insistant sur le sens « dérisoire et futile de la vie humaine…” qui lui rappelle “Gulliver à Lilliput”, comme nos touristes sur la piazza Navona.
Il fut d’ailleurs étonnant de percevoir à quel point Piranèse échappe à cette récupération rationnelle liée à l’objet architectural. En effet, l’exposition se terminait par une animation, avec lunettes 3D, réalisée par l’Atelier Factum Arte à Madrid. Elle reprenait certaines planches et donnait l’illusion d’un cheminement à travers le labyrinthe des traits d’eau forte et de pointe sèche. Il nous a semblé alors que la magie de l’estampe loin d’être détrônée par la technique n’en était que magnifiée. Nous sommes retournés vers les estampes afin de retrouver le merveilleux.
Détail de la planche 13 des “Carcieri” (Cl. Guy Braun)
La conclusion reviendra à Marguerite Yourcenar : “A notre époque où l’artiste a cru se libérer en rompant les liens qui le reliaient au monde extérieur, il vaut la peine de montrer de quelle précise sollicitude pour l’objet contemplé sont sortis les chefs-d’œuvre presque hallucinés de Piranèse.”
Guy Braun
Références : Marguerite Yourcenar “Le cerveau noir de Piranèse” issu de “Sous bénéfice d’inventaire”. Paris, Gallimard, 1962, repris dans une petite collection suisse, Tesserete : Pagined’Arte, 2016, le texte est accompagné de reproductions des “Carceri”.