Nouveau vocable

Propos entendus
5 rue Pierre Sémard
75009 Paris
12 novembre 2019

La richesse du vocabulaire de la langue française sait exprimer avec beaucoup de précision toutes les inflexions de la pensée et toutes les manifestations du réel. Pourtant, il existe quelques lacunes dans son immense lexique. Aujourd’hui, pour y obvier, on emprunte souvent à la langue anglo-saxonne – et, plus particulièrement au globish – le mot qui manque malheureusement. Hélas, la puissance publique emboîte parfois le pas à ce mauvais pli et, naguère, avait proposé, par exemple, de franciser mail en mel, une graphie sans passé ni avenir et, de plus, aucunement récursive quand on sait que mail est une anglicisation du français malle-poste. Fort heureusement, nos cousins québecois ont eu la joyeuse idée d’inventer courriel qui a reçu la sanction de l’usage.

Dans le domaine de l’estampe, une telle lacune perdure depuis plus de cent cinquante ans. Par abus de langage, on nomme graveur tout artiste qui pratique l’estampe malgré que le lithographe – ou le sérigraphe, etc. -, qui conçoit, dessine et fabrique des estampes, ne grave pas de matrice à proprement parler. Donc, le mot générique pour désigner tous les artistes fabriquant des estampes manque. Il existe bien des mots dérivés du substantif estampe mais, parmi ceux-ci, il vaut mieux ne pas choisir le vocable estampeur qui verserait trop vers la marque de fabrique fallacieuse et l’escroquerie. Aussi, certains, depuis quelques temps, tentent d’acclimater estampier dont la déclinaison féminine, estampière, n’est pas particulièrement euphonique, au grand dam des inclus.

“La commedia del’arte : Capitaine espagnol”
d’Abraham Bosse

Maxime Préaud, dont on connaît la sapience, la pertinence, la sensibilité et l’humour dans son maniement de la langue de Molière, propose sur le modèle de spadassin, substantif issu de l’italien (cad. : porteur d’épée) – et, tout artiste n’a-t-il pas vocation, un jour ou l’autre, à porter l’épée sous la coupole de l’Académie des Beaux-arts ? – le vocable stampassin qui aurait ainsi l’avantage de désigner tous les artistes qui pratiquent l’art de l’estampe quelle que soit la technique dont ils usent pour cela. Autre qualité, il se déclinerait en un féminin, euphonique, doux et séduisant : La belle stampassine essuie, d’un geste suave, sa noire plaque encrée… Sa forme adjective permettrait ainsi aux futurs historiens de l’art d’écrire un lourd volume sur L’art stampassin du XXI° siècle ou aux journalistes d’écrire qu’une folie stampassine vient de saisir l’hôtel Drouot. Bref, que des avantages. 

Stampassines et stampassins de tous les pays… sera-ce le manifeste du renouveau français de l’estampe ? Pourquoi pas, laissons donc à ce vocable le temps d’acquérir la patine de l’usage.

Claude Bureau