La vague…

« Sous la vague au large de Kanawaga » d’Hokusai
(Cl. Metropolitan Museum of Art of New-York)

Pendant la période de l’Avent les vitrines des rues commerçantes et celles virtuelles des sites marchands sur Internet regorgent de cadeaux à acquérir pour les fêtes de fin d’année. Parmi ces cadeaux sont offerts, dans les catalogues des grands musées mondiaux, de multiples objets dérivés. En mathématiques, la dérivée indique le sens de la pente d’une courbe. En matière d’objets dérivés depuis un certain temps la pente devient quelque peu vertigineuse.

Déjà en 1936, Walter Benjamin, dans son essai intitulé : « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée », constatait que ces procédés mécaniques avaient fait perdre aux œuvres d’art leur aura. Depuis, avec l’ère numérique, cette désacralisation de l’art s’est exponentiellement amplifiée. L’expression populaire : «  Faire feu de tout bois », peut maintenant se pasticher en : « Faire argent de tout art », tant ces objets dérivés se déclinent à l’infini sur les sites des musées. Pour le mettre en évidence, il suffit de prendre un seul exemple, auquel le titre de ce billet emprunte une partie de son nom, celui de l’estampe : « Sous la vague au large de Kanawaga » du Japonais Hokusai. Elle est ainsi dérivée en divers objets dans le catalogue des Boutiques des musées publié par la Réunion des musées nationaux.

Sac avec reproduction de la vague (Cl. Boutique des musées)

Cette célèbre estampe, dont un des tirages originaux est conservé au musée Guimet à Paris, mesure 25,7 x 37,9 cm. Que l’on puisse désirer garder par devers soi pour contempler dans le calme de sa demeure un fac-similé fidèle de celle-ci semble légitime. Ce catalogue le propose. Fort bien. Mais que penser alors de ses autres propositions : un agrandissement mural de 80 x 100 cm, un cabas pour les courses, une pochette de protection d’un micro-ordinateur, deux paires de chaussettes, deux punaises magnétiques, une housse de coussin, un masque facial de protection, un bracelet pour dame, un puzzle de mille pièces, une étole de soie, etc. ?

Paire de chaussettes avec la vague (Cl. Boutiques des musées)

Dans ce monde des objets dérivés, l’œuvre d’art a non seulement perdu son aura mais ceux qui ont en charge d’en garder et de conserver l’original ont introduit dans le temple, sans doute sous les aimables encouragements de leurs agents comptables, le merchant-design et la rentabilité commerciale. Nul ne les en chassera car depuis plusieurs décennies la pente de cette dérive est bien trop forte et universelle. Comme dans cette estampe d’Hokusai, ne risque-t-elle pas alors de submerger les frêles esquifs où sont encore embarqués les créateurs d’images d’aujourd’hui ?

Claude Bureau