Virtuel ou sur le vif

Biennale internationale du carton gravé 1
Galerie « L’entr@cte »
3 rue de Versailles
92410 Ville d’Avray
2 au 25 octobre 2020

Les estampes du collectif « Carton extrême carton »
(Cl. Claude Bureau)

Cette première biennale organisée par le collectif « Carton extrême carton », qui se consacre à la promotion de la cartogravure, fut victime au printemps du confinement général et fut annulée. Remplacée par son catalogue virtuel lors de la Fête de l’estampe 2020, elle est en cet automne, sur le vif, aimantée sur les murs de la galerie « L’entr@cte » de Ville d’Avray. Cent dix-huit estampes, réalisées avec des matrices en carton gravé, sont à voir disposées en une ligne horizontale continue, qui court dans tout l’espace, sans encadrement et sans vitre, à courte portée du regard du visiteur.

Enfin sur le vif écris-je car, malgré que j’aie eu le loisir de regarder sur l’écran de mon ordinateur, le 26 mai 2020, les soixante quatre estampes de son catalogue virtuel, pouvoir les observer en vrai, sans le truchement d’un écran vitré, est tout à leur avantage et tout au bénéfice de mon plaisir d’amateur. Enfin dans le monde réel ! Là, les qualités expressives propres à l’estampe – intrinsèques, allais-je écrire – sont mises en évidence. Qualités qu’aucun monde virtuel et numérique ne saurait restituer !

Une vue de la biennale (Cl. Claude Bureau)

Car, toutes ces qualités s’incarnent dans des réalités bien matérielles. Tout d’abord, les papiers si divers dans leur texture, leur grain, leur rugosité, leur soyeux, leur couleur ou leur fibre, etc. Chaque papier a sa manière particulière de capter la lumière. Ensuite, les rapports géométriques entre la surface du papier (d’un format identique : 20×30 cm) et celle de l’image, ces rapports sautent ici aux yeux et ils servent l’expression. Aussi, toutes les subtilités, les nuances, les variations, les transparences des tonalités surgissent-elles là bien visibles et expressives. Enfin, le moindre détail ou accident de la surface des matrices, qu’ils soient volontaires ou non, se laisse discerner sur le papier.

En comparant quelques-unes des estampes aimantées avec leur reflet virtuel consigné dans le catalogue, on peut mieux mesurer l’écart existant entre ces deux mondes. Par exemple, l’estampe de Blandine Courcoux où l’embrouillamini de l’image virtuel devient sur le vif parfaitement lisible avec son personnage à tête de cerf rouge-orangé qui danse dans un sous-bois gris-bleu. Le grand aplat rouge de celle de Balaguer Mitjans Mercede reste ici parfaitement transparent et laisse ses entailles noires s’entrelacer. Dans celle d’Ana Sartori, le relief du tissage et le fil doré du soleil dressent la magie d’une jungle impénétrable. Le graphisme maritime dans celle de Louise Le Besnerais vibre sur des gris-bleus évanescents qui resteraient invisibles sans avoir eu l’estampe devant les yeux. Enfin, la route glacée d’Anne Paulus ne brillerait pas si l’on ne pouvait avoir vu la totalité des minuscules détails de la surface du carton présents sur le tirage. Ces quelques exemples sont donc un vif encouragement à aller regarder, sur place et sur le vif, la centaine d’estampes proposées aux visiteurs par cette première biennale.

Une autre salle de la biennale (Cl. Claude Bureau)

Une dernière réflexion : souvent les estampes présentes sont numérotées avec un dénominateur indiquant un minuscule tirage. Cette rareté reflète-t-elle sans doute une tendance contemporaine qui courre parmi les jeunes artistes et, parfois, parmi les moins jeunes stampassins. Comme avec le dessin ou la peinture, ils pratiquent certainement l’estampe surtout pour ses qualités expressives soulignées ici et non pas pour user de la caractéristique principale de l’estampe qu’est sa reproductibilité. Cette caractéristique serait-elle alors en voie d’abandon au profit de cet autre monde, le virtuel ? Ce serait bien dommage.

Claude Bureau