Terre d’estampes

Les xylographies de Julian Lemousy
et les « Balises » de Marie Heughebaert

(Cl. Anne Paulus)

« Terre d’estampes »
19 mai – 6 juin 2021
Galerie L’entr@cte
3 rue de Versailles
92410 Ville d’Avray

En cette fin de semaine après Confinement III, de nombreuses expositions ouvraient enfin leurs portes. Laquelle choisir ? Tentation d’aller de nouveau admirer l’immense fresque panoramique du commerce mondial en ses quatre points cardinaux peinte par Évariste-Vital Luminais (L’Amérique), Désiré François Laugée (La Russie et le Nord), Victor Georges Clairin (L’Asie, L’Afrique) et Hippolyte Lucas (L’Europe) sous le dôme de la Bourse du commerce de Paris récemment restaurée grâce à la générosité de François Pinault. Répulsion d’avoir à y côtoyer la foule béate s’extasiant sur la fonte de la gigantesque bougie, fac-similé de « L’enlèvement des Sabines » sculpté par Jean de Bologne, comme un cierge en paraffine dressé sous cette coupole par l’hybris de l’un des principaux bailleurs de fonds de l’art dit contemporain. Aussi préférais-je trouver refuge ce samedi-ci en cette « Terre d’estampes » très éloignée de ce factice-là.

Sous ce titre intriguant, qui rappelle sans doute que Ville d’Avray fut la terre d’élection du peintre et graveur Camille Corot, que se cachait-il ? Une pacifique confrontation entre l’art de l’estampe et l’art de la céramique, conçue et intelligemment mise en place dans cette galerie par Anne Paulus et Sophie Domont. Certainement pour souligner la plasticité des pratiques artistiques d’aujourd’hui qui s’expriment volontiers sur plusieurs medium sans en privilégier aucun. Les deux commissaires convient donc le public à contempler des duos ou des trios où estampes et céramiques concertent sur des thèmes communs.

Espace « Mondes » de l’exposition (Cl. Anne Paulus)

Le premier duo, « Mondes », réunit les micro-êtres d’une série d’estampes de Thomas Fouque gravées sur cuivre en micro-format (pas plus de 7×7 cm) où naissent et s’épanouissent tout un florilège de formes vivantes : animalcules, squelettes végétaux, coquilles, accumulations cristallines, etc. En répons, s’alignent en dessous les micro-mondes de Stéphanie de Saint-Marc qui sourdent de boules ovoïdes avec ou sans patte, comme évadées d’un cabinet de curiosités d’antan. Dans une autre salle, un trio, «Flux », plus porté à l’exubérance, dialogue avec trois grands kakemonos verticaux xylographiés par Iris Miranda, la baroque installation monstrueuse et multicolore de Rose Coogan et les xylographies polychromes de Raùl Villulas dont les estampes superposent tailles, couleurs, détails incongrus et matières transparentes en de bien mystérieuses compositions.

Avec les autre thèmes proposés dans les autres espaces : « Origine », « Suspension », « Focus », « Échappées » et « Structures », une caractéristique commune à l’estampe et à la céramique est – me semble-t-il – mise en valeur et pourrait en constituer le fil directeur. Il s’agit de la surface, cette mince couche si ténue faite de pigments pressés que supporte dans l’estampe le papier ou, s’agissant de la céramique, cette mince peau qui fait disparaître le blanc, les gris ou les carmins de la matière soumise à la cuisson car ici plus que le volume des solides présentés importe cette peau qui captive les regards. Ce sont ces surfaces qui dialoguent là.

Espace « Échappées » de l’exposition (Cl. Anne Paulus)

Dans « Suspension », à côté de l’« Aile » de Brigitte Banet, Anne Paulus marie habillement ces deux épidermes, avers et revers accolés dans « Caput mortuum », surface mat du feutre d’un côté, peau plus brillante qui a subi l’épreuve du feu de l’autre. Dans un autre duo, « Focus » peaux et surfaces s’enclosent dans un cercle avec les sérigraphies minuscules de Carina Fihn et les disques irréguliers d’Isabelle Thibault. Du trio « Échappées » les géométries cartésiennes de noir vêtues ne nuisent pas aux « Paysages intérieurs » de Sophie Domont monotypées sur les surfaces orthogonales du papier tissé ni aux plus sombres peaux des cubes, prismes, parallélépipèdes et cylindres de Corinne Guého alors que tous les huis entrouverts par Anne-Marie Rubi déchirent en forts contrastes la surface du papier. Encore avec les peaux rouges et grises de griffures striées de Marie Heughebaert qui magnifient les volumes fonctionnels et banaux des fac-similés de balises de chantier routier renversés sur le sol et qui servent d’image à l’affiche et au catalogue de l’exposition.

Enfin, sur la surface des glacis de Pascale Simonet chemine son fil d’Ariane rouge entre des sombres tunnels en plein cintre et s’enroule comme un éternel retour des gouffres sans réponse alors qu’à l’ « Origine », dans le vestibule de l’exposition, veillent propitiatoires les « Déesses spirales » de Bernard Rémusat et les poupées emmaillotées de Vincent Lallier dont les tissus de terre les ont momifiés au contact du feu. « Terre d’estampes » ? Terre d’asile pour des expressions contemporaines authentiques et sincères, loin, très loin, à des années-lumières d’une bougie factice et mercantile.

Claude Bureau