Signatures comme œuvre

En pratique, la signature d’une estampe se matérialise même aujourd’hui de diverses manières dont il serait trop fastidieux d’établir le catalogue exhaustif. Certaines manières occupent majoritairement le devant de la scène. D’autres sont d’un usage plus confidentiel. Si la principale fonction de la signature marque, authentifie, identifie, certifie, légitime, estampille, justifie, garantie ou approprie1 – qu’importe le vocabulaire employé – l’estampe à son créateur, ce signe de propriété ne se revendique pas comme œuvre mais comme une de ses parties accessoires. Quoique maints exemples historiques ou contemporains pourraient être cités où l’artiste la fait valoir comme partie intégrante de l’œuvre : du monogramme de Dürer en passant par les calligraphies de Pierre-Yves Trémois ou de Bernard Buffet. Cependant, vouloir l’ériger comme une œuvre en soi reste une démarche singulière et originale.

Ce défi a été néanmoins proposé aux vingt-deux artistes2 de l’exposition « La taille d’épargne : métamorphose du vide », présentée à La Celle Saint-Cloud (78) au début 2019 par l’association « Graver Maintenant ». Il s’agissait de créer une œuvre collective à partir de la signature de chacun des exposants. Voici les contraintes oulipiennes de cette œuvre : estampes signatures gravées et imprimées en taille d’épargne au coup de planche en format à l’italienne de 15×30 cm pour être encadrées dans des boîtes américaines identiques. Ces vingt-deux boîtes furent ensuite rassemblées en un polyptyque3 vertical pour être accroché pendant toute la durée de l’exposition. Il n’était pas précisé si ces « estampes-signatures » devaient être contresignées ou pas. Ainsi fut-il fait et les visiteurs de l’exposition qui faisaient preuve de curiosité, pouvaient essayer de distinguer sur ce polyptyque la main de chacun des artistes exposants.

Claude Bureau

1Ce verbe est à prendre ici dans le sens symbolique développé par Michel Serres dans son essai « Le Mal propre- Polluer pour s’approprier », publié aux éditions « Le Pommier », et dont Maxime Préaud étend l’application à l’estampe dans une de ses remarques orales favorites à qui veut bien l’entendre : « Il est regrettable que la plupart des graveurs ou stampassins salopent leurs beaux tirages en gribouillant au crayon, quelquefois même allant jusqu’à empiéter sur l’image, la justification du tirage, le titre (souvent avec une faute d’orthographe) et la même signature illisible qu’ils mettent au bas de leurs chèques. Si bien que, sauf à être des génies dont on reconnaît immédiatement la main, le public et même les amateurs sont incapables de dire quel est cet artiste dont on ne peut lire le nom. »
2 – D. Aliadière, M. Atman, I. Béraut , L. Blauth, A. Augusto Bueno, R. Burdeos , C. Bureau, A. Cazalis, M.-N. Deverre, J. Dumont, S. Domont, É. Fourmestraux, D. Héraud, T. Joseph, J. Mélique, D. Moindraut, A. Paulus, B. Pazot, Z. Rajaona, A. Sartori, P. Simonet et J. Villeroux.
3 – Dont la photographie sert à l’illustration de tête de cet écho et au débat ouvert sur la signature de l’estampe.

Nota bene : ce nouvel écho n’épuise pas le sujet traité : la signature de l’estampe. Faites-nous part de vos réflexions ou de vos témoignages à ce propos. Le magazine se fera un plaisir de les publier. Comment faire ? Voir ici. La rédaction.