Pierres secrètes

 

Bloc gravé – Personnage côtes apparentes (Cl. Emmanuel Breteau)

« Mythologie préceltique en forêt de Fontainebleau »
Musée de Préhistoire d’Île-de-France
48 avenue Étienne Dailly 77140 Nemours
15 avril – 30 décembre 2023

Dans ma conférence sur « La grande aventure de l’estampe, sur la piste des chercheurs d’art », je disais que graver était certainement l’un des gestes les plus anciens de l’humanité, un geste qui remonterait à près de 50.000 ans, à l’époque de l’Homo neanderthalensis, en référence à une gravure découverte sur le territoire de Gibraltar, au lieu dit : Gorham’s Cave. Ce geste pétroglyphique primaire a bien sûr évolué. On le découvre par exemple dans la Vallée du Merveilles, au cœur du massif du Mercantour, un site rupestre d’exception, riche de plus de 40 000 gravures protohistoriques datant la plupart de l’âge du bronze (3 000-1 000 av. J.-C.). Mais on le trouve aussi dans de nombreuses régions du monde, exprimant la faune locale ou la présence humaine, y ajoutant parfois des éléments graphiques prémices d’une spiritualité naissante… J’avais aussi évoqué, dans la rubrique Vu et lu… pour vous, dans une participation intitulée : « Paysage et estampe : La forêt de Fontainebleau – Gravures rupestres », publiée en 2021, les marques laissées par les chasseurs-cueilleurs de notre région, sur les parois des rochers gréseux. Une exposition récente, sise au Musée de Préhistoire d’Île-de-France vient enrichir le propos, avec de nouvelles découvertes d’une rare beauté et du plus grand intérêt, propres à séduire les graveurs que vous êtes, s’ajoutant à de belles promenades estivales dans notre attrayant Sud Seine & Marne.

Bloc gravé et son motif (Cl. Gérard Robin)

Car ce geste, ne serait-il pas, quelque part et sûrement, à la genèse du geste créateur qui s’épanouit, aujourd’hui et depuis plusieurs siècles, dans l’estampe gravée ? Cette idée, je l’ai adoptée, et j’aimerai vous la faire partager. D’autant que l’exposition dure jusqu’au 30 décembre 2023. Il y aurait en forêt, d’après Alain Bénard, ancien président du GERSAR (Groupe d’Études, de Recherches et de Sauvegarde de l’Art Rupestre), près de 2.500 abris ornés, dont la localisation n’est pas révélée pour les préserver de l’afflux du public et de dégradations possibles… Dans la plaquette de présentation rédigée par le Musée de Préhistoire, on peut lire : « Les gravures forment des compositions souvent denses, soigneusement réalisées, au sein desquelles se retrouvent les mêmes éléments de répertoire traités dans un style schématique très reconnaissable : signes géométriques variés, représentations humaines et animales, créatures surnaturelles ». Et d’offrir au regard des visiteurs, non pas des reproductions de ces graphes, mais des petits blocs gravés indépendants, trouvés, – et cela interroge -, dans des cavités de la roche, donc cachées au regard et difficilement accessibles. Une discrétion pour ce qui apparaît comme des représentations symboliques de signes, qui vont de l’abstraction à une figuration élémentaire, masculine ou féminine, parfois sexuelle, s’y ajoutant l’évocation stylisée d’un bestiaire environnemental. Une gravure marquant, semble-t-il, une relation entre une population primitive et les puissances surnaturelles…

Des pétroglyphes dont la datation, grâce à des indices culturels (décoration de poteries par exemple), correspondrait à l’extrême fin de l’âge du bronze (900 av J.-C.).

Bloc gravé – Myriapode et autres figures (Cl. Emmanuel Breteau)

Nombre de vitrines présentent ces témoignages de « cet ensemble rupestre phénoménal qui ne trouve pas, en l’état actuel de nos connaissances, de comparaison directe en Europe », cela, accompagné de tableaux explicatifs, de superbes photographies prises dans les rochers par Emmanuel Breteau. C’est passionnant, que l’on soit amateur d’archéologie préhistorique ou non. Une réussite pour laquelle il faut citer la directrice Anne Sophie Leclerc, conservatrice en chef du Patrimoine, et son équipe ; les commissaires scientifiques Daniel Simonin, chargé de développement Archéologie du musée, et Laurent Valois, président du GERSAR. Un catalogue, magnifiquement illustré, a été édité sous le titre : « Pierres secrètes – Mythologie préceltique en forêt de Fontainebleau », chez Actes Sud (2023 – 158 pages – 30 €). Et signalons, dans les Têtes d’affiche de Télérama Sortir n° 3838-3839 du 2 août 2023, le gros plan “Gravé dans le grès” signé Jean-Baptiste Duchenne, qui évoque cette exposition remarquable.

En marge, cette initiative locale : une artiste de Nemours, Céline Waeckel, s’est en effet lancée récemment dans la création d’un atelier de gravure pour les jeunes, au travers d’une démarche intitulée “L’empreinte émotionnelle”, proposant dans un premier temps l’apprentissage de la taille sur linogravure et sur rhénalon.

Plaque lino et estampe de Héloïse D. (Cl. Gérard Robin)

Le Musée de Préhistoire, au travers de son exposition temporaire, a été l’un des premiers lieux d’inspiration qu’elle a proposé à ses élèves. Avec un résultat graphique plein de promesses. Témoin, parmi bien d’autres, ci-dessus cette création d’Héloïse D., 12 ans.

Gérard Robin