Mise en lumière du clair-obscur.

“La gravure en clair-obscur – Cranach, Raphaël, Rubens,…”
18 octobre 2018 – 14 janvier 2019
Le Louvre – Rotonde Sully
99, rue de Rivoli
75001 Paris

Voici un voyage dans le passé de l’estampe, en ces premiers temps de la Renaissance où la gravure s’exprimait par le trait, – celui essentiellement de la taille d’épargne xylographique -, et essayait d’échapper à une représentation visuelle graphique et plate. Certes, la couleur, permettant de différencier les divers éléments de l’image, existait déjà. Elle était ajoutée manuellement par coloriage après impression. Une autre mise en couleur, celle de la gravure dite “en clair-obscur”, est l’objet, à la Rotonde Sully du Musée du Louvre, d’une superbe exposition réunie par la commissaire Séverine Lepape, à partir principalement des collections Edmond de Rothschild du musée, du département des estampes de la Bibliothèque nationale de France et de la Fondation Custodia. Près de 135 estampes illustrent la pratique de cette esthétique innovante qui fleurit en Europe des XVIe et XVIIe siècles et qui vise à rompre avec la rigueur du trait ou du dessin et transposé après gravure et encrage sur le papier, qu’il soit blanc ou teinté.

Domenico Beccafumi – “Apôtre saint Philippe” (BnF)
Gravures sur bois XVIe s.

à gauche : 3 pl. de teinte grise et noire – à droite : 3 pl. de teinte rouge et noire

Son principe est d’utiliser une matrice portant la gravure du tracé principal de la composition et les hachures éventuelles nécessaires au rendu – c’est la planche dite “de trait”, essentiellement en bois (taille d’épargne ou même, plus tardivement, taille-douce sur métal) -, et d’imprimer en superpositions successives une ou plusieurs matrices en bois portant chacune une couleur, – les planches dites “de teinte” -, en allant comme il se doit du plus clair au plus foncé. Dite “chiaroscuro” en Italie et en Angleterre, la gravure en clair-obscur sera souvent appelée ailleurs, dans les pays du Nord (Allemagne, France, Pays-Bas), “camaïeu”. Cette “manière” vise alors à apporter dans l’image du modelé, – tel un apport de lavis -, en jouant sur le rapport des ombres et des lumières, donc de la profondeur et du relief, ou parfois ajoutant une impression d’icône avec des ajouts d’argent ou d’or.

Une vue de l’exposition (Cl.Gérard Robin)

Les œuvres présentées ici sont éloquentes du procédé et de grande qualité.
Des panneaux explicatifs les accompagnent, pour évoquer la chronologie de son usage (de l’Allemagne à l’Italie, puis à la France et aux Pays-Bas) et mettre l’accent sur quelques grands maîtres concernés, peintres, dessinateurs et graveurs. À cela s’ajoutent les cartels accompagnant les œuvres, porteurs de la technique et d’une notice sur l’artiste ou l’estampe. La visite est un véritable parcours de plaisirs, dans des espaces amples et agréables, sous une lumière non agressive, qui respecte les conditions d’éclairage requises pour des œuvres anciennes, donc fragiles. Au final, une véritable révélation sur cet art que l’histoire évoquait peu jusqu’ici dans sa globalité.

Une autre vue de l’exposition (Cl. Gérard Robin)

On y trouve même des explications et des échantillons sur les encres fabriquées spécialement pour cette “manière” : noires, grises ou colorées.
Avec deux apports complémentaires : celui d’une présentation didactique des différentes étapes de la réalisation de la taille d’épargne en couleurs, avec planche de trait et planches de teinte, d’une “Vanité”, créée par Maxime Préaud, conservateur général honoraire au département des estampes de la BnF ; et celui de la projection d’un film documentaire, où le spécialiste de l’estampe ancienne avait été conseil : le “Diogène” de Ugo da Carpi, réalisé par Bertrand Renaudineau et Gérard-Emmanuel da Silva.

En parallèle à l’évocation de la gravure en clair-obscur, un autre espace intitulé “Techniques et gestes” permet de renforcer ses connaissances sur l’art pictural sur papier, dessin, pastel, miniature et, bien sûr, l’estampe. Sans oublier la fabrication de la forme à papier, génératrice des filigranes indicateurs d’origine (type, moulin). C’est, là encore, un ensemble passionnant, même pour un visiteur familier de ses domaines.

Un regret suite à cette évocation : cette importante manifestation semble, à ma connaissance, avoir été peu, – trop peu -, médiatisée, et c’est bien dommage ! Elle est remarquable et mérite absolument la visite.

Gérard Robin