Manifestation double à Paris.

« Graveurs de Gascogne »
« Prix Gravix »
mai-juin 2019
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère
79009 Paris

Un autre art de manifester s’est en fait concrétisé à la Fondation Taylor le lendemain de la Fête du travail, celui-là d’une manière exemplaire, car porteuse d’une véritable communion de pensée. Cela devant une gravure majoritairement dans la plénitude de son excellence, mais que l’on a peine à voir, tout au moins avec l’acuité et la sérénité nécessaires, en raison de l’affluence. On aurait tord de s’en plaindre. La foule est là, avec nombre de personnalités connues et amies, artistes ou amateurs d’art, et chaque pas est l’opportunité d’un échange, évoquant remarques ou projets. C’est chaleureux, au risque de faire presque oublier les œuvres en cimaises… Bien sûr, elles sont là qui interpellent, finissent par attirer le regard, et sont finalement génératrices du besoin de revenir plus tard, lorsque l’affluence sera moindre, le calme revenu, pour redécouvrir les artistes en cimaises et goûter plus à leur travail… Que de beauté ! Comme il en est chaque fois à la Fondation Taylor, mais peut-être plus aujourd’hui, où tout l’espace de l’immeuble est dédié à l’estampe : le rez-de chaussée et sous-sol avec Pointe et Burin comme maître d’œuvre, sous la présidence de Jean-Michel Mathieux-Marie ; l’atelier et sa mezzanine sous la houlette de Gravix et de Christine Moissinac sa présidente, qui gère un fonds de dotation pour la reconnaissance des artistes et qui ce soir, dévoilera le nom des nominés et du lauréat ou de la lauréate.

« Graveurs de Gascogne »

Le carton d’invitation (Cl. Gérard Robin)

En bas, donc, ce titre qui interpelle, avec la redécouverte des œuvres de grandes signatures bordelaises disparues de la gravure : pour un hommage, l’aquafortiste Rodolphe Bresdin [1822-1885], un maître de l’imaginaire, que l’on sent attiré par des artistes comme Rembrandt ou Dürer, et qui s’impose avec force dans de magnifiques évocations à la forte intensité graphique ; Odilon Redon [1840-1916], élève de Bresdin, adepte de l’eau-forte et surtout de la lithographie, dans une variante dite « à la manière noire », qui ne se lasse pas d’explorer la part sombre et ésotérique de l’âme humaine ; et enfin, pour un honneur, le regretté Philippe Mohlitz [1941-2019], élève de Jean Delpech et buriniste d’un imaginaire où se mêlent fantastique et étrange, dans des visions souvent inquiétantes où sourd la violence, au risque de se perdre pour le regard du spectateur qui cherche à aller plus avant, au-delà d’une certaine dérision sous-jacente. Des personnalités qu’évoquèrent en ouverture Jean Michel Mathieux-Marie, Maxime Préaud et Georges Rubel.

L’autre salle du rez-de-chaussée (Cl. Gérard Robin)

Et cela sans oublier les autres gascons invités, comme Jean-Pierre David et Gérard Trignac, – auteurs de la souscription 2019 -, Michel Estèbe, Blandine Galtier, Olaf Idalie, Charlotte Massip, Jacques Muron. Une exposition enrichie par la présence en cimaises de 23 invités qui ne déméritent pas, eux aussi, et qui alimentent de leur diversité et de leur talent le plaisir du regard. Il faudrait tous les citer, mais la place manque ici…

Quatre prix : « Antalis », attribué au roumain Marius Martinescu et ses visions chargées d’un humanisme, pulsation de l’humain en relation avec la nature, mais ouvertes à l’interprétation de chacun ; « Matthieu Coulanges », pour les images fusionnelles de Louise Gros ; « Charbonnel » et « L’Éclat de verre » n’ayant pas été attribués alors que j’écris ces lignes.

« Prix Gravix »

Il reste à gagner l’atelier des hauts de la fondation, où se tiennent les candidats du prix. Gravix est aujourd’hui une fondation, qui est due à l’engagement pour la défense de l’estampe d’un amateur d’art, Alain Le Bret. L’action commença en 1984 et, après le décès du fondateur en 1987, se développa sous l’égide de deux autres personnalités partageant la même volonté : le peintre graveur Antoine de Margerie (décédé en 2005) et l’homme d’affaires Arnaud de Vitry qui, abandonnant la présidence en 1994, fut alors remplacé par Christine Moissinac. L’action principale de la fondation fut la création d’un prix, attribué chaque année jusqu’en 1999, puis, à partir de 2000, tous les deux ans. Une remise du prix qui eut longtemps lieu dans la célèbre galerie de Michèle Broutta, laquelle eût un rôle essentiel dans le soutien de Gravix pendant près de 25 ans, jusqu’à sa cessation d’activité en 2017.
Ce soir, organisé avec la collaboration de la Fondation Taylor et l’aide logistique de l’Atelier Pierre Soulages de la ville de Charenton, avait lieu la présentation des nominés, réunis autour de Christine Moissinac, du haut de la mezzanine de l’atelier.

Les candidats du prix Gravix dans l’atelier (Cl. Gérard Robin)

Ainsi furent présentés : Florence Bernard ; Thomas Bouquet ; María Chillón ; Romain Coquibus ; Cédric Le Corf ; Camille Pozzo di Borgo ; Jeanne Rebillaud-Clauteaux ; Nelly Stetenfeld ; Alexander Todorov et Raúl Villullas. Un choix judicieux, marqué du talent artistique des candidats exposés en cimaises, et montrant l’estampe dans une grande part de sa diversité. On aurait aimé que chaque artiste s’exprime sur son art, mais il apparut cette évidence que les graveurs sont des créateurs solitaires qui s’accommodent difficilement de la présence d’un public et surtout d’un micro !… Une manifestation au final plus que sympathique, et porteuse donc de grandes promesses.

Et puis, ce fut l’annonce de la nominée, Jeanne Rebillaud-Clauteaux, « pointe sèchiste » de cœur car aimant avant tout le rapport direct de la pointe avec la matière. Nous l’avions exposée dans le Salon : Impressions 2016 (et 2017), l’estampe à Barbizon. Nous avions alors cité dans notre catalogue 2016 un texte de Christian Massonnet, qui disait – et cela s’intègre bien avec la manifestation globale de Taylor –  « En effet, avec la finesse de son trait et les subtiles nuances des valeurs de noir et blanc, Jeanne exprime une grande force vitale, tant dans les personnages que dans les paysages, voilà le grand art d’une artiste discrète ; le commentaire de Mallarmé sur les gravures d’Odilon Redon s’adresserait aussi bien à Jeanne Clauteaux : « Vous agitez dans nos silences le plumage de nos rêves et de la nuit ». »

Gérard Robin