Livres d’artiste

L’affiche du Salon du livre de Sèvres (Cl. « Sévrienne des arts »)

« 10e Salon du livre de Sèvres »
Salle Alphonse Loubat
9 Grande rue 92310 Sèvres
11 au 13 février 2022

Les expositions de livres d’artiste déçoivent rarement le visiteur. En effet, ils sont souvent de denses moments où l’amateur et le simple curieux peuvent dialoguer en direct et longuement avec les artistes ou les éditeurs présents. Et, aussi, de pouvoir tenir entre les mains un objet qui constitue, bien plus que dans une exposition stampassine récurrente sur cimaises, un univers complet voulu par l’artiste et dont on peut compulser les pages à loisir. La création d’un livre d’artiste est un exercice difficile et périlleux car un tel objet ne supporte ni la médiocrité de sa conception ni celle de son exécution. L’artiste stampassin ou son éditeur s’y engage avec passion, certes, mais aussi avec quelques appréhensions. Au fil du temps et de quelques déboires, ils s’aguerrissent dans les multiples épreuves qu’il leur faut franchir avant d’aboutir à l’objet que l’on peut publier et offrir à la vente : le choix du texte, le sien ou celui d’un autre vivant ou mort, connu ou méconnu auquel on associe sa patte, le choix du silence de la parole ou l’éloquence graphique du propos, le choix du format élu et de la mise en page de tous les éléments qui la composent, le choix fondamental du papier et de son poids, l’exécution pas à pas de tous ceux-ci, l’impression sans faute de la typographie ou la calligraphie manuscrite des mots, des phrases et des paragraphes, la réalisation des images s’il y a lieu et, même s’il n’y a pas lieu, des pages, l’élaboration patiente de la couverture, de son dos et de son emboîtage avec ou sans complication helvète, etc. Bref, se confronter à un objet pas aussi simple qu’il apparaît usuellement sur les rayonnages de nos bibliothèques. À l’issue de ce parcours semé d’embûches, l’amateur peut enfin tenir en main dans le champ de son regard proche cet univers complet, celui de l’artiste et de l’auteur ici réunis dans cette aventure, à moins que ces deux derniers n’en fassent qu’un seul.

Visite du maire de Sèvres sur le stand « Le bois gravé »
(Cl. Claude Bureau)

Le dixième Salon du livre d’artiste organisé par la « Sévrienne des arts » offrait donc ces univers multiples et variés aux visiteurs, amateurs et curieux, pendant trois jours sur les neuf stands mis à disposition dans la salle Alphonse Loubat. Sur celui de l’association « Le bois gravé », fondée par le regretté Claude Bouret et Gérard Blanchet, Jean-Claude Auger, son actuel président, accueillait avec affabilité les visiteurs. Depuis plus de trente ans, l’association édite chaque année un cahier en souscription, soit une monographie sur un artiste xylographe ou bien un numéro consacré à deux artistes graveurs sur bois. La couverture de ce numéro présenté en porte-folio (21×34 cm) est constituée d’une gravure dur bois originale de l’artiste choisi et celui-ci comprend, en sus du cahier imprimé agrémenté de nombreuses reproductions, une autre xylographie originale du même format (21×34 cm). De plus, chaque souscripteur a le bénéfice de recevoir avec le portfolio de l’année une autre xylographie à plat au format jésus ou raisin de l’artiste mis en avant cette année-là. Ces éditions régulières réservent parfois bien des surprises. Par exemple, Deborah Boxer, très connue pour ses estampes en taille-douce où des objets usuels et dérisoires composent une saga chaque fois renouvelée, a fait l’objet du numéro 30 du Bois gravé, avec une étude signée de Maxime Préaud, dans lequel on découvre les nombreuses reproductions de remarquables xylographies méconnues de Deborah Boxer.

Le collectif « Carton extrême carton » profitait de ce Salon pour lancer « La collection du carton gravé ». Il s’agit d’une série de livres d’artiste en figures imposées : un format à la française ou à l’italienne de 13×18 cm, avec un emboîtage obligatoirement en carton, à l’intérieur duquel, au choix de l’artiste est glissé le livre soit plié en accordéon, soit plié ou pas en portfolio, soit broché ; le livre peut être avec ou sans parole mais il doit se composer d’une majorité d’estampes réalisées à partir de matrices en carton gravé, et la collection est réservée aux membres du collectif ou à ses invités. D’ores et déjà, cette collection énumère 13 titres qui sont présentés au fur et à mesure des événements organisés par « Carton extrême carton ».

L’éditeur « La boîte à gants » quant à lui proposait sur son stand une série de livres d’artiste imprimés par des procédés numériques en couleurs. Parmi eux, se remarquait un sujet classique : « Les signes du zodiaque », sur un texte de Vincent Pagès avec des illustrations de Josse Goffin et une mise en page graphique de Béatrice Jean, encartés en portfolio sous un emboîtage toilé. Les « Éditions de la ville haute » peuplaient de leurs reliures originales leur table de présentation.

Dialogue entre des visiteurs et les « Éditions de la ville haute »
(Cl. Claude Bureau)

Louis-Dominique Héraud, xylographe accompli, s’est lancé depuis quelque temps dans l’édition de ses livres d’artiste. Ses deux premiers livres, qu’il qualifie volontiers de trop classiques, n’ont, quoi qu’il en dise, pas pris une seule ride. Sous leur emboîtage toilé, il s’agit de « L’ange du bizarre » d’Edgar A. Poe et « Le vin » de Charles Baudelaire, accompagnés des eaux-fortes originales de L.-D. Héraud. Il leur préfère aujourd’hui ses leporellos xylographiés sur chaque page ou, mieux encore, des portfolios de ses estampes dont les images accompagnent les textes de deux dames qu’il a choisi d’illustrer : Marie-José Bernard, sa compagne, et Corinne Hoex aux exigences typographiques précises.

Nonobstant nos bourses et les rayonnages de nos bibliothèques dont les dimensions ne sont pas infinies, il ne faut jamais manquer de visiter une exposition de livres d’artiste. On y satisfait toujours le bonheur du regard et on y découvre souvent, peut-être trop souvent rechigne notre bourse, quelques univers artistiques que l’on veut et que l’on peut garder précieusement et jalousement entre ses deux mains avant de les placer précautionneusement sur le rayonnage de son choix.

Claude Bureau