“Nu à trois pattes” de Baselitz, (lino), 1977 (Couverture du catalogue)
Le cabinet des estampes du château de Dresde (Kupferstich-Kabinett Dresden) présente l’exposition Gegen den Strich (à contre-courant) : une sélection d’œuvres imprimées tirées d’une collection particulière datant du XXe et XXIe siècle. Les œuvres, toutes puissantes, relèvent de programmes artistiques très divers : de l’expressionnisme de Kirchner à l’actionnisme viennois, du minimalisme aux proférations écrites de Jenny Holtzer, en passant par les gravures historicisantes de Kiefer et les eaux-fortes sensuelles de Hockney. Une salle entière est consacrée aux gravures de Baselitz. On y découvre que la gravure, dans la diversité de ses techniques, l’accompagne depuis ses débuts : gravures sur bois en clair-obscur (où on reconnait les figures qui vont hanter ses peintures renversées), eaux-fortes (aquatinte, sucre, etc.), linos de grande dimension où explose son approche iconoclaste de l’image.
Je n’écris pas ce billet pour recommander la visite de cette exposition ; si Dresde était plus proche et mieux connecté à Paris, je le ferais chaudement ! Je voudrais partager une réflexion de Baselitz reproduite sur un cartel. Elle m’a frappé par sa justesse et interpellé dans le contexte de cette exposition qui rassemble les œuvres d’artistes dont on connait surtout l’œuvre dessiné ou peint. « L’impression (printmaking) emploie une méthode claire et bien établie. Elle est définitive et à sa manière plus distancée (distanced) que le dessin ou la peinture » (ma traduction du cartel en anglais).
Sans titre de Baselitz, (bois), 1967 (Image du catalogue)
Ce qui confère aux mediums d’impression un caractère « définitif et distancé », c’est précisément le moment de l’impression : le moment du transfert de la matrice à l’épreuve. A cet instant, seule la matrice « parle », l’artiste imprimeur n’y peut plus rien. C’est un coup de dé qui n’abolit jamais le hasard : l’image s’inscrit et s’impose quels qu’aient été les intentions ou les désirs de l’artiste au moment de fabriquer la matrice et quels que soient le statut ou le futur de l’épreuve. Il y a dans ce moment quelque chose d’inéluctable.
“Hokusaï” de Baselitz, (eau-forte, sucre et aquatinte),
2017 (Image du catalogue)
C’est ce caractère inéluctable (Mallarmé dirait fatal) qui fait des mediums d’impression un véhicule approprié, voire privilégié, pour nombre d’artistes qui sont à la recherche non pas d’une image, mais d’un geste, définitif, ou qui préfèrent l’expression d’une position dans le monde à l’expansion romantique de leur subjectivité. Baselitz fait partie de ceux-là et on comprend qu’il ait pu trouver dans les techniques de la gravure à la fois un terrain d’expérimentation et une manière de réalisation de son geste artistique.
Jean-Marie Marandin