“Flûte” burin de Jean Boucher (Cl. Olaf Idalie)
Je veux vous parler d’un ami graveur.
Le plus modeste et discret qui soit. ( Et je parle sous son contrôle). Il maîtrise le burin comme personne; mais qui le connaît ?
Personne, justement car il réserve sa production à ses proches, je dirais même à ses intimes.
Ma proposition de le faire connaître semble lui poser problème.
Il a écrit un beau poème sur la gravure et je voudrais le transcrire en entier, aussi vais-je faire court pour le présenter.
Il s’appelle Jean Boucher et s’approche des soixante-dix printemps.
C’est un homme d’admiration. Elle est son moteur et en cela il est unique et intemporel car, de Van Gogh à Jacques Higelin, il les célèbre et les représente souvent entourés des symboles et attributs qui ont fait leur gloire.
Olaf Idalie
“Un coin qui me rapelle…” burin de Jean Boucher (Cl. Olaf Idalie)
Graver (en musique)
La musique accompagne la course sereine du burin
Des chansons françaises aux valses vives de Chopin
L’outil coupant suit d’affilée le fin tracé
De la planche au travers de la binoculaire
Les yeux calmes pilotent la pointe d’acier trempée…
Le monde gravé s’édifie tout lentement à l’envers
La pensée le restitue très rapidement à l’endroit
L’esprit s’évade à l’écart bercé par la voix,
Séduit par les mots ou le tempo du piano…
La réalité passive échappe au cerveau…
L’humeur se pressent légère tant que le mouvement
Souple et harmonieux guide la lame dans son ouvrage
Et que la main confiante s’écoule sur le métal rouge.
Un geste manqué, une défaillance de l’instant
Un fil émoussé, un copeau qui ne saute pas
Et le réel impérieux revient à grands pas…
« L’épée » l’arme de créativité du graveur,
Un fer affilé fiché dans un manche en buis,
Une poire en bois tourné embrassée de quatre doigts
Epouse ferme la paume et l’éminence du pouce bien droit…
Un monde minuscule où l’artiste devient l’acteur
Dans des émotions d’oripeaux rouges et fleuris,
D’éclats de copeaux de cuivre brillants teintés d’or
Barbes métalliques blondes et vermeilles qui colorent
Monstres et gueux faméliques en peuplant l’univers :
Le monde pratique du Maître du Livre de Maison
Le monde antique d’Andrea Mantegna
Le monde original de Martin Schongauer
Le monde mélancolique d’Albrecht Dürer
Le monde de Jacques Callot cruellement satirique
Le monde influent d’Abraham Bosse, témoin de son temps
Le monde ironique et transcendant de Rembrandt
Le monde de Piranèse précurseur des romantiques
Le monde burlesque de Francisco Goya
Le monde technique de Célestin Nanteuil et Carolus –Durand
Le monde bucolique de Jean-Emile Laboureur
Le jeune monde d’Henri-Georges Adam
Aux formes planes et symboliques
Le monde linéaire et coloré de William Stanley Hayter
Le monde onirique d’Albert Mentzel dit Flocon.
Je mène sciemment ma voie modeste et familière
Admirant les œuvres des grands Maîtres avec bonheur
Ceux qui sublimèrent cet art durant leur vie,
Qui conjuguèrent leur talent avec leur temps,
Qui marquèrent le métal de la pointe ou du burin
Et maîtrisèrent leur adresse pour l’asservir à l’humain.
Je déplore ne pas être à bord de cette allégorique croisière
Ce berceau novateur qui ne sombrera pas dans l’oubli
Qui rayonne encore noir intense dans la lumière…
Jib
août 2019
“L’ami Olaf” burin de Jean Boucher (Cl. Olaf Idalie)