Jacques Houplain

Hommage à un des grands maîtres de la gravure

“Le verger abandonné” Jacques Houplain
(Cl. Perol-Schneider)

Né le 10 septembre 1920 à Luneray au pays de Caux, il nous a quittés le 22 février 2020 à Cassaignes dans les Corbières. Mon mari et moi avions toujours un grand plaisir à rendre visite à Jacques et à Annette Houplain, l’hiver à Montmartre dans leur petit appartement-musée parisien, l’été dans les Corbières à Cassaignes. Ils nous ont quittés tous les deux, d’abord Annette, maintenant Jacques l’a rejointe. J.-Ch. Gaudy, poète et ami décrit si bien l’extraordinaire personnage qu’était Jacques Houplain : « Un sage mi-chinois, mi-vigneron avec une voix-rocaille venue comme depuis l’origine du souffle et un caractère trempé, mais tout d’affabilité. N’en conte ni ne s’en laisse conter … et pourtant si talentueux conteur (ou épistolier) à la fabuleuse mémoire. C’est tout naturellement que dans son œuvre gravé se rencontrent, revivifiées, voire transmutées, les références culturelles venues de tous siècles et de tous pays, avec une gourmandise particulière pour nos sources mythologiques, toujours prétextes à rêverie et à délectation. »

 

En pensées, nous nous rendons parfois encore à un petit village de l’Aude, loin de tout. Nous suivons une route en colimaçon et montons jusqu’à une église face aux Pyrénées. Jacques Houplain et sa fille Jacotte ont décoré son fronton à fresque, il y a bien des années déjà. C’est là, dans le petit cimetière, que se trouve la dernière demeure de Jacques et d’Annette Houplain. En continuant notre chemin, les cris d’un paon debout sur le toit de l’atelier du graveur nous guident. Nous atteignons la dernière maison du village. Il ne faut surtout pas déranger l’artiste !

“Rêveries sous le cèdre” Jacques Houplain
(Cl. Perol-Schneider)

Revenons plutôt en fin d’après-midi quand le graveur arrête son travail. Il nous aura attendu, affûté sa faux et préparé un petit parking pour la voiture. Je l’entends encore : « J’aime traverser lentement l’espace séparant l’habitation de l’atelier, une diagonale d’un rectangle bordé de trois côtés par des murets, le quatrième en terrasse : vue vers le Levant, au-delà du Col du Paradis ». Annette nous ouvre sa belle maison-ferme, patinée par le temps et les souvenirs. Le graveur, assis sur le vieux sofa dans un recoin un peu caché par l’escalier qui monte à l’étage, se repose en écoutant de la musique classique. Sa pipe allumée, un verre de whisky à la main, il nous dit : « J’ai bien travaillé, je l’ai mérité ». Quand la musique s’arrête, il ouvre la porte du “Jardin du Milieu” avec le merveilleux bassin à la japonaise. Imprégné de l’amitié avec le graveur Kiyoshi Hasegawa, Jacques avait appris à lire des idéogrammes. Il en apprenait un tous les jours depuis des années. Puis, il est temps pour sortir les chaises longues, les tourner vers la montagne au loin et l’admirer sous les derniers rayons de soleil.

“Mer de nuages au-dessus de Bezis” Jacques Houplain
(Cl. Perol-Schneider)

Quand par bonheur l’aquafortiste nous ouvrait son atelier où chaque poste technique était installé bien séparé, notre regard fut irrésistiblement attiré par la pièce maîtresse : la séduisante presse taille-douce, objet séculaire qui inspirait le respect. La gravure n’y était posée – un moment toujours attendu avec appréhension par tous les graveurs – qu’après de longues heures d’un travail extrêmement méticuleux. Jacques Houplain examinait chaque détail, retravaillait, corrigeait sa plaque de cuivre avec une dextérité incroyable pour arriver au résultat souhaité. Partout dans cet atelier, pourtant bien rangé, le long des murs, contre le sol, sur des étagères, dans des niches, on voyait des éléments étonnants, cadeaux, souvenirs, collections de curiosités de pays lointains où l’artiste pouvait puiser son inspiration sans voyager au loin.

Brigitte Perol-Schneider

Jacques Houplain en quelques dates

1940 – Beaux-Arts de Paris, atelier-peinture de Pougheon.
1945 – Atelier-gravure de Dupas. Invité à exposer à “La Jeune Gravure Contemporaine”, Galerie Sagot-Le-Garrec Paris. Rencontre avec Pierre Guastalla. Il se lie d’une grande amitié avec Kiyoshi Hasegawa.
1946 – Membre titulaire de “La Jeune Gravure Contemporaine” et invité par la “Société des Peintres-Graveurs -Français”.  Études en Histoire de l’art.
1947 – Boursier à Amsterdam, il rédige un mémoire sur Hercules Seghers. L’influence du graveur hollandais se montre surtout dans sa peinture et ses gravures anciennes.
1948 – Ses études à l’École Estienne lui apportent une technique parfaite qui convient à son travail méticuleux. Il se range lui-même parmi les « maniéristes ». Jusqu’à la fin de sa carrière il a réalisé des livres pour la bibliophilie.  Sociétaire du “Salon d’Automne”, en Gravure et Livre illustré. Après 2 ans en boursier à Alger, il enseigne de l’histoire de l’art à l’École nationale supérieure des Arts appliqués à Paris.
1956 – Membre, puis en 1969, vice-président de la “Société des Peintres-Graveurs français”.
1989 – Membre de la “Société asiatique”.
1993 – Membre d’honneur de “Pointe et Burin”. Jacques Houplain m’encourage à fonder “Gravure Passion”. Il participera à toutes les manifestations de cette triennale internationale de 1994-2015. Grand prix Baudry de la Fondation Taylor à Paris.
2010 – Importante rétrospective et édition de “Rêveries d’un graveur solitaire”, cadeaux de ses filles pour ses 90 ans, à la galerie franco-japonaise de Tenri,  à Paris. Grande exposition à la Galerie Sagot-le-Garrec. Exposition à Cassaignes, Corbières, une autre et dernière en 2014.

« Je souhaite que mes estampes, seulement encrées du noir à l’exemple des monochromes, fassent imaginer ”les cinq couleurs” arc en ciel, né de la brume. » Jacques Houplain