Histoires (presque) naturelles

« Les primates », Sylvie Abélanet, eau-forte sur cuivre, (Cl. Jam Abélanet)

Il est des moments, des circonstances où il suffit de peu pour avoir envie de se replonger dans le monde de l’enfance, peut-être comme pour mieux s’en détacher. Ainsi Sylvie Abélanet retrouve-t-elle dans le bric-à-brac du grenier familial ses jouets oubliés depuis plusieurs décennies. Comme tant de gamins, il est permis de croire qu’enfant elle entassait dans une boîte plumes, coquilles d’escargots, cailloux et coquillages ternis, rubans, fleurs fanées. Elle y installait ses jouets préférés, ses trouvailles, toujours ces petits riens qui à ses yeux étaient autant de merveilles. Bien des années plus tard, les retrouvant sans doute avec émotion, c’est avec attendrissement qu’elle échafaude ce qui deviendra bientôt une nouvelle suite de gravures.

Pour structurer les compositions, elle dispose les protagonistes de ses Histoires (presque) naturelles dans des boîtes, procédé déjà utilisé pour le Cantique des oiseaux, mais ici paré d’une certaine légèreté. Se mêlent alors la surprise, le plaisir de retrouver ces vieux compagnons et la volonté de ne pas trahir les sentiments qu’ils procuraient. Chaque élément est positionné. Le rapport des proportions et la perspective sont minutieusement évalués.

« Les léporidés », Sylvie Abélanet, eau-forte sur cuivre (Cl. Jam Abélanet)

Avec méthode, Sylvie va s’atteler à une boîte, puis une autre, encore une… Pour chacune, elle choisit un jouet du « règne » animal : lézard, oiseau, singe, chien, lapin, biche. L’accumulation pourrait être brouillonne mais la rigueur et la détestation de l’approximation obligent l’artiste à organiser ses trésors. Car elle aime les choses bien faites. La boîte en carton avachie prend l’allure d’une caisse en bois dont on devine qu’elle renferma quelques bonnes bouteilles. Et là vont se côtoyer automates aux mécanismes sans doute grinçants, pantins articulés, peluches râpées d’avoir été trop aimées, doudous, jouets à traîner…

Bientôt, la chose devient sérieuse et, comme une évidence, se crée un lien entre le procédé narratif de chaque Histoire et l’évocation de la présentation de collections hétéroclites, ces dernières nées de la passion de quelques savants et amateurs éclairés. Cet assemblage joyeux et enfantin va très vite s’inscrire dans une démarche plus réfléchie. La caisse, de maison de poupée devient alors cabinet de curiosité miniature. Bien sûr, les jouets ne se suffisent plus à eux-mêmes. Riche d’objets amassés, l’atelier de Sylvie est une mine dans laquelle elle puise, et elle adjoint dans ces petits habitacles crânes, plumes, pseudo-dessins anatomiques. Espiègle, elle n’hésite pas à réduire le squelette d’un canidé à un gros os, cadeau enrubanné pour son chien favori. Gerbes de blé, fanes de carottes, fruits, liserons et autres végétaux sortent-ils d’un herbier ? Leur présence étaye, non sans fantaisie, l’environnement propre à chaque animal. Semblable à une scène de théâtre, une source lumineuse frontale porte des ombres sur l’arrière du décor, prétexte aux nuances subtiles de valeurs plus ou moins marquées.

« Les canidéss », Sylvie Abélanet, eau-forte sur cuivre (Cl. Jam Abélanet)

A l’origine strictement privés, les cabinets de curiosité se sont au fil du temps ouverts au plus grand nombre. De même, la générosité de Sylvie Abélanet se traduit par ces six planches à l’eau-forte. Chacune a une part de mystère et convoque notre imagination à de singulières interprétations.

Bernadette Boustany
Conservatrice en chef du patrimoine