Gravure & poésie

« La montée des eaux »
Exposition
du 11 au 19 octobre 2019
Tour Saint Barthélémy
rue Pernelle 17000 La Rochelle

« La montée des eaux », ces quatre mots forment une ascension virtuelle et pourtant prévisible d’une catastrophe annoncée et au-dessous, la pluie en traits obliques tombe sur une Arche de Noé solitaire et vide. La page-titre illustrée est sobre mais percutante, comme l’ensemble de cette exposition où alternent les linogravures de Jackie Groisard et les textes encadrés de Alain Richer. Quatre mains pour concevoir et réaliser cette exposition où Jackie Groisard et Alain Richer étaient les invités du Collectif quai de l’estampe dans la Tour St Barthélémy. Poésie et force du trait me viennent immédiatement à l’esprit tant pour l’un que pour l’autre de ces deux artistes qui se côtoient sur les panneaux de bois blanc disposés au cœur de ce clocher gothique du XV° siècle. À l’abri d’une réelle montée des eaux, dans cette tour solide plantée au centre de La Rochelle, le spectateur découvre avec attention et lenteur les images de l’un et les mots de l’autre, comme au temps où les pages d’un journal étaient affichées sur les murs de la ville.

L’entrée de l’exposition (Cl. Francine Minvielle)

Tout a commencé simplement quand Alain a proposé des textes à Jackie « on avait envie de refaire quelque chose ensemble ». Difficile de dire qui a véritablement initié le projet mais ces deux–là se connaissent depuis leur collaboration à l’exposition du collectif Gaspart17 « Paysages avec la mer, ou sans » chez Matlama à La Rochelle en octobre 2014. L’intérêt d’Alain Richer pour l’écologie date de la période où il travaillait dans une Chambre d’agriculture dans l’Eure (1973-1974) à la formation des agriculteurs normands. « J’avais un DEA en sociologie rurale et j’étais sensible à la société paysanne en transformation ». Il ajoute, pour illustrer concrètement son engagement « J’ai voté pour René Dumont, l’agronome bien connu, à la présidentielle de 1974 ». Il travaille ensuite avec le Parc national des Cévennes (1976) et réalise des études sur l’habitat rural (paysan et résidents secondaires). Il y aura aussi un petit passage, à la mode à l’époque, par une expérience de vie en communauté en Lozère où il participe à deux projets d’habitat en commun. Ceci ne durera pas bien longtemps et ses obligations familiales l’obligent à écourter cette voie pour s’engager à la recherche d’emploi et pour ce faire, à changer de région. En 1996 il publie « Les îles sont des rivages de sel » aux Éditions Océanes, un recueil de poèmes sur différentes îles (Ré, Oléron, Yeu), l’océan, les escales maritimes, La Rochelle… On y retrouve « Les heures de Noé » déjà le thème de la mer qui monte, et le déluge qui apparaît. « Et Noé, rescapé, élu, qui renomme les choses et la nature, revivifiées … » Et donc une « Ode à Noé » s’affiche, seule, sur un panneau blanc à l’entrée de l’exposition, message sombre de fin du monde annoncée : « Oh ton exil Noé ! A haut degré le flot de la tempête, revanche des pauvres par le nombre, et le mauvais usage du monde. Sur les parois éteintes de la fête, sur les famines de l’abeille, tu as fondé les funérailles du monde… » (extrait)

Sensible aux preuves évidentes du réchauffement climatique tout près de chez lui, comme la montée de eaux sur le pourtour de l’Atlantique, les inondations à la Rochelle, mais aussi à l’échelle de la planète, « tout ça m’a interrogé », il ajoute : « La montée des eaux n’est pas la seule cause de la dégradation de la vie sur terre, il y a aussi l’Homme, complètement négligent de son environnement et de sa cohabitation avec les animaux. Il y a aussi la société de consommation à outrance qui mène depuis longtemps dans le mur ». A long terme, Alain Richer est pessimiste quant à la survie de notre planète, mais optimiste en voyant la prise de conscience qui commence à émerger. Pourtant il ajoute, dubitatif, « la présence de l’homme sur terre est quand même assez dangereuse !».

Une des estampe de Jackie Groisard (Cl. Francine Minvielle)

Jackie, sur ce sujet, se défend d’être un acharné de l’écologie, mais il affirme son inquiétude devant les bouleversements de notre planète et sa rage devant l’insouciance et la négligence des hommes. « Je ne suis pas militant comme Alain, mais je suis sensible !» Pour cette collaboration en duo, Alain a soumis ses textes à Jackie, qui a « gambergé », comme il le dit, sur le thème de la montée des eaux. Ensuite, Jackie a inventé des scènes qui n’étaient pas dans les textes « il a eu lui aussi son autonomie » précise Alain qui ajoute « Jackie a fait une centaine de dessins préparatoires. J’en ai trié une trentaine, mais ensuite, il a été totalement libre de traiter le sujet comme il l’entendait ». Et Jackie de préciser, « quand je cherche une idée je gribouille énormément ». Pour lui ce ne sont pas vraiment des dessins préparatoires mais de véritables recherches. « C’est du spontané, pas fait pour être exposé. » Pourtant, certains le sont ici, des « gribouillages sur toutes sortes de papiers » qu’il avait sous la main. Mais avant de définir l’image qui sera retenue puis gravée « un trait vraiment posé, qui est prévu », il y a encore bien des étapes ! Travail de recomposition de l’image (découpages, recadrages), ou couleur du dessin par le biais de la photocopieuse, ou même de l’ordinateur « je suis aussi moderne ! Les techniques de maintenant on ne va pas s’en priver !» Sourire joueur de l’artiste devant mon étonnement.

Il n’était pas question, ni pour l’un ni pour l’autre d‘illustrer mais plutôt de s’inspirer du message ou de certains mots : une véritable fusion entre les deux partenaires. Alain parle d’ailleurs très bien du travail de son partenaire « Jackie a su décrire et graver, gravement et sans pitié, les errances d’un monde en fin de course qui fait semblant d’ignorer sa finitude. » En fait, auparavant, Jackie s’exprimait davantage en peinture qu’en gravure jusqu’à l’arrivée providentielle de cette grande presse qui occupe, depuis à peine deux ans, l’atelier du Collectif quai de l’estampe situé au rez- de- chaussée de la Tour St Barthélémy de La Rochelle. Son parcours atypique a débuté très jeune. Il est lauréat du Concours général de dessin en 1969 à l’âge de seize ans où son professeur le remarque et le guide dans ses premiers pas artistiques. Il expose pour la première fois à Laval avant d’aller faire ses études à l’école des Beaux-arts de Rennes, et d’y approfondir l’histoire de l’art à la Faculté des lettres. Il se forge ensuite une solide formation personnelle en faisant toutes sortes de métiers « du monde réel » ce qui va fortement influencer son inspiration artistique. Il y a aussi les maîtres comme Bacon et Picasso entre autres. S’il a abandonné ses peintures hyperréalistes, il lui reste la technique, la rigueur du dessin sans oublier de laisser transparaître l’émotion, surtout la sienne !

Une des matrices en linoléum
gravée parJackie Groisard (Cl. Francine Minvielle)

Alain Richer dit du travail de Jackie sur La montée des eaux que « c’est une œuvre très noire » (allusion à la fois à l’encre et à l’atmosphère) que Jackie Groisard « tire vers la couleur et qui prend la forme sans limite du dessin, marqué, volontaire en insistant sur les faits : l’insouciance des peuples oublieux de l’urgence ». Comme les représentations instantanées d’une bande dessinée, les linogravures en noir et blanc mais aussi en deux ou trois couleurs (soit brun soit vert) sont associées parfois à leur plaque-matrice pour une double lecture. La trame ainsi présentée s’inspire de l’histoire du déluge d’il y a plus de 4 000 ans et de Noé, patriarche biblique, dont l’arche doit sauver les hommes et les animaux en les abritant de la montée des eaux. Dans son œuvre en général et en particulier dans cette exposition il allie la rigueur de la composition à l’improvisation, le modelé à la touche libre. Son œuvre est une œuvre de combat contre le temps aussi bien en peinture qu’en gravure, contre lui-même et contre l’inconscience et la bêtise des hommes. « Je tente, à travers des images immédiatement lisibles, d’aller au-delà des apparences afin d’exprimer la révolte et l’espoir au sein d’un monde absurde ». Et pourtant le tragi-comique des situations n’est jamais bien loin, l’humour et l’amour de la vie sont constamment présents, son trait en atteste. Dans son texte de présentation sur « La montée des eaux » Alain Richer écrit ceci « En attendant le jour de l’écriture, ce chant nouveau après tant d’autres, un hymne, une ode à la gloire de nos pères, à la santé de nos fils…Chant de délivrance qui rassemble les mots et les images, les gravures pour une alliance provisoire…En attendant le jour construisons un monde qui ne bouge pas ! Oui. Et après, après ? » Après cette exposition, nous attendons tous un nouveau message fort, à quatre mains, chanté, lu et dessiné par vous deux, messieurs les artistes.

Francine Minvielle