« Fédération générale des Français au Champ de Mars »
estampe de 1790 dessinée par C. Monet et gravée par I.-S. Helman,
fonds Gallica (Cl. BnF)
La lecture du catalogue raisonné de l’œuvre gravé1 d’André Bongibault est instructive sur l’évolution de la pratique de l’estampe en France pendant ces soixante dernières années. En effet, l’estampe fédère2 dans son élaboration plusieurs fonctions et métiers qui concourent à sa création et ensuite à sa diffusion : originellement l’artiste qui conçoit l’image dont l’estampe sera porteuse et qui la transpose ou la grave sur la matrice adéquate. Ensuite, un éditeur qui prend en charge le tirage ; un imprimeur taille-doucier, lithographe ou sérigraphe, etc. ; et, enfin un diffuseur qui en commercialise le tirage. Mais aussi tous les autres métiers connexes comme les fabricants de papiers, d’encres, de presses, d’outils et des matières utilisées comme matrices. Que toutes ces fonctions indispensables soient assumées par la même personne ou qu’elles soient remplies par des professionnels spécialisés, des associations ou des institutions, ne change en rien le fait qu’elles doivent toutes être accomplies pour que l’estampe parvienne aux regards des amateurs.
« Petite cristallisation » d’André Bongibault (Cl. André Bongibault)
Grâce aux légendes très bien documentées des reproductions de ce catalogue, on peut suivre par qui ces fonctions ont été accomplies au cours de ces années. De 1961 à 1975, période de formation et de mûrissement artistique, André Bongibault, comme tous les débutants stampassins, s’auto-édite et imprime lui-même ses estampes en de petites quantités d’exemplaires. De 1975 à 1995 enfin reconnu, il bénéficie du soutien de plusieurs éditeurs qui font appel pour imprimer ses matrices à des taille-douciers qui les tirent à plus d’une centaine d’exemplaires chacune. De 1990 à 2000, tout en continuant d’être édité de la même façon, il reprend la pratique de l’auto-édition de quelques-unes de ses estampes imprimées par ses taille-douciers à plus d’une centaine d’exemplaires. Depuis 2000, cette pratique de l’auto-édition devient majoritaire ainsi que celle de l’impression par lui-même en des tirages qui diminuent. Il ajoute aussi l’impression de variantes de la même matrice qu’il tire en petits nombres d’exemplaires.
Sans céder aux excès de la généralisation, cette évolution des pratiques se constate partout aujourd’hui. Elle tient sans doute à la raréfaction des éditeurs d’estampes, des imprimeurs et des galeristes spécialisés. Certainement aussi à la faiblesse en France du nombre d’amateurs d’estampes et par conséquent d’acheteurs. André Bongibault malgré sa notoriété rejoint ainsi la plupart des stampassins contemporains usant de l’estampe d’une manière permanente ou temporaire qui s’auto-éditent, qui impriment eux-mêmes leurs estampes et qui les tirent avec parcimonie faute d’acheteurs. Comme il le soulignait en 2002 : « La gravure marchait très bien il y a dix ou quinze ans, plus maintenant. On fait ce métier parce qu’on l’aime. Pas pour gagner de l’argent. » (page 111 de son catalogue).
« Prana » d’André Bongibault (Cl. André Bongibault)
Au quart du vingt-et-unième siècle, il demeure donc plus que jamais nécessaire de promouvoir auprès du grand public, des institutions et des grands moyens d’information l’art de l’estampe. Et, malgré l’évolution dont témoigne ce catalogue, de continuer à mettre en évidence ses caractéristiques fédératives en rassemblant artistes stampassins, éditeurs, imprimeurs, galeristes et fabricants de matériels pour rendre évident et manifeste cet art toujours vivant et contemporain.
Claude Bureau
1 – « André Bongibault – gravures » de Michel Wiedemann, catalogue raisonné, format 240 x 220 cm, 134 pages, 92 reproductions de gravures. L’estampe de Chaville éditeur-distributeur, 2022, ISBN : 978-2-9583413-0-5 . Prix : 40 €, frais de port : 8 €, à commander à l’éditeur :L’estampe de Chaville 1 rue du Gros Chêne 92370 ou estampedechaville@free.fr
2 – C’est en tenant compte de ce constat que Manifestampe – Fédération nationale de l’estampe a été fondée en fédérant tous les acteurs qui concourent à l’art de l’estampe.