Éloge de l’estampe

Il y a des siècles et des siècles, les hommes perçurent qu’ils possédaient dans la tête une machine à fabriquer des images. De terrifiantes dans les cauchemars qui les éveillaient brutalement au creux des nuits ou d’apaisantes dans les songes qui les lovaient les uns contre les autres aux heures matinales. Dès lors, ils n’eurent de cesse d’en conserver la trace dans le bois, la pierre ou les pigments. Méfiante envers les pouvoirs de ces nouvelles mémoires, l’autorité s’arrogea la police des images et le tabou de leur représentation.

Après bien des lustres et des lustres, grâce à une feuille souple et légère de feutre végétal – le papier – ils copièrent de nombreuses fois ces traces gravées en relief d’une taloche de la paume. L’estampe était née. Puis, la pesanteur de leurs outils leur permit d’aller chercher, dans la profondeur des traits gravés, la noirceur de ces fantasmagories multipliées dans l’ombre ou la lumière. L’estampe connut alors sa pleine gloire en pénétrant, porteuse de l’ectoplasme du saint et de son seigneur, dans la moindre demeure ou, garante du signe de la banque, dans toutes les poches.

Découverte d’une estampe à l’Atelier Brito (Cl. Ouest-France)

Enfin, à peine hier, passés maîtres des mouvements corpusculaires, après avoir canalisé les flux de l’électron et du photon, les hommes compliquèrent à loisir leur fabrique d’images en les affublant de prothèses auditives et spéculaires. Aujourd’hui, délaissant les antiques icônes, ligotés en permanence aux rets de petites machines d’une redoutable efficacité qui les relient entre eux, ils admirent sans se lasser leurs propres reflets répétés à l’infini par ces brillants artefacts. L’estampe de naguère semblait vouée à l’abandon des choses dépassées.

Pierre Brachet découvrant une estampe le 26 mai (Cl. Ouest-France)

Pourtant, rendue maintenant totalement inutile à la reproduction en masse des images, l’estampe conserve, par la rusticité rudimentaire de ses procédés de fabrication, par la légèreté et la souplesse de son support et par la simplicité de sa conservation, le même pouvoir de fascination que notre vénérable machine cérébrale à rêveries. Il suffit à l’estampe de la simple lumière du jour pour se découvrir. Dans ce naïf constat gît sa revanche sur toutes ces prothèses, qui encombrent en permanence nos mains, si dispendieuses en matières et en énergie. Économe de ses moyens, l’estampe reste riche de toutes les expressions possibles, écologique en quelque sorte et ainsi immunisée contre l’obsolescence technologique.

Claude Bureau