Derrière les paupières

« Série rouge », ensemble de sérigraphies (65×55 cm) 2009 (Cl. C. Valentin)

BnF: Françoise Pétrovitch, Derrière les paupières
Site François-Mitterrand – Galerie1
Quai François-Mauriac, Paris 75013
18 octobre 2022 – 29 janvier 2023
mardi – samedi 10 h > 19 h, dimanche 13 h > 19 h, fermeture lundi et jours fériés

La Bibliothèque nationale de France met en lumière l’œuvre graphique et imprimé de Françoise Pétrovitch en exposant un remarquable ensemble dont certaines pièces sont montrées pour la première fois. Une occasion unique pour se plonger dans la démarche expérimentale de l’artiste à travers des techniques qui lui sont familières. « Elle a été initiée à la gravure dès l’âge de 15 ans lors de sa préparation au brevet d’art graphique. Elle intègrera la section arts appliqués de l’École normale supérieure de Cachan avant de compléter sa formation en taille-douce dans l’atelier de Michel Henri Viot. »

Autant dire qu’elle aborde ce médium en artiste confirmée avec une maîtrise évidente, une fluidité et une porosité des techniques libre et vivante. Son approche est celle d’une artiste boulimique, avide d’expérimentations, comme si le passage d’une technique à l’autre était un élément libérateur de son inventivité, à partir de ses sujets de prédilection qui reviennent sans cesse. Elle n’assujettit pas la technique à son contenu, c’est l’inverse qui l’intéresse : « J’ai cru un moment donné que le sujet commandait ses techniques, je me suis rendu compte que non », dit-elle simplement. Les sujets, enfants, adolescents, gants, animaux, restent donc à l’état de motifs dont il ne reste que le cerne dans lequel la technique va s’exprimer avec la plus grande liberté. Son rapport à la technique semble donc être son sujet, en un premier temps, une règle du jeu qui va convoquer toute les techniques de gravure avec une grande jouissance ludique contenue par la rigueur qu’impose chaque procédé. Cela donne lieu à un trait délicat et poétique en gravure taille-douce, un travail des surfaces précis et vibratoire dans l’aquatinte, des variations et densités de couleur très maîtrisées qui montent dans la sérigraphie.

Dans les lithographies, une dimension picturale fait écho à ses encres sur papier également présentes dans l’exposition. Les imperfections de la pierre vont servir à mettre en valeur la matière liquide traitée de façon picturale et librement déposée sur la matrice dans un geste rapide et sûr.

« Garçon au squelette » lithographie (160×120 cm) 2016 (Cl. C. Valentin)

Françoise Pétrovitch joue, et elle à la grâce de faire partager son amour de la matière avec les nombreux artisans avec lesquels elle œuvre. Car cette travailleuse acharnée chasse en meute, elle se nourrit de ses expérimentations et construit pierre par pierre en échangeant avec les nombreuses structures partenaires qu’elle sollicite et qui la suivent, passant d’une structure spécialisée dans une technique à une autre. Elle construit aussi sûrement sa carrière qu’elle fait monter les densités de couleur dans ses lavis d’encre sur papier. Elle fédère avec intelligence autour d’une vision du monde plutôt fine, non dépourvue d’humour parfois (elle insère une ancienne photo de jeunes rugbymen testostéronés dans une lithographie représentant un gant féminin, peut-être de velours, déserté par une main, peut-être de fer). Une vision ouverte et non clivante, laissant libre cours aux interprétations de chacun sur le contenu. Un travail incessant, passant d’un médium à l’autre, peinture, céramique, dessin, gravure, livres d’artiste, abordé avec une finesse d’observation sur ce qui l’entoure qui laisse l’observateur en balance, entre la simplicité précise de son trait, sa maîtrise technique, son imaginaire délicat et son attrait pour les fausses simplicités de la vie dont elle expérimente l’incidence par la matière, à travers des témoignages tout aussi simples et délicats.

« Vue VIII » lithographie et collage 2018 (Cl. C. Valentin)

C’est peut-être dans ses livres d’artiste qu’on distingue le mieux les liens qu’elle tisse avec ceux qu’elle observe et avec lesquels elle peut dialoguer. Ses impressions offset ou gravées sont autant de conversations décalées avec des textes qui la touchent. Dans le recueil « j’ai travaillé mon comptant », elle dessine dans l’espace d’un livre d’artiste ce que lui inspirent les témoignages doux-amers de retraités sur leur vie de labeur, recueillis lors d’une résidence dans une maison de retraite à Hennebont dans le Morbihan. Des lectures très diverses peuvent susciter son intérêt comme la correspondance entre Calamity Jane et sa fille, elle a réalisé en dialogue avec cette lecture des linogravures, photogravures, gravures en taille-douce et typographies qui ont donné lieu à un livre d’artiste éponyme en 2016.

« Calamity Jane » livre d’artiste détail 2016 (Cl. C. Valentin)

Rien d’invasif, a priori. Mais une réalité parallèle instillée à petites doses, à partir de ce qui pourrait apparaître comme des points de détail, un monde qui n’est pas si docile qu’il y paraît et qui dévoile une intériorité silencieuse et ambiguë que chaque recherche compulsive expérimentant techniques, matières, échanges, couleurs, procédés semble éloigner chaque fois un peu plus d’une définition stable de ce qui touche à l’existence.

À la BnF F. Mitterrand  jusqu’au 29 janvier 2023

Christel Valentin

Nota bene :
– L
es citations de cet écho sont tirées de l’introduction de Cécile Pocheau Lesteven (conservatrice en chef au département des estampes et de la photographie à la BnF), publiée dans le catalogue de l’exposition. Ce catalogue est co-édité par la BnF et le Fonds Hélène & Édouard Leclerc, un ouvrage de 18 euros, 230 x 270 mm, 80 pages, 100 illustrations environ, bilingue.
– Michel Henri Viot a fondé en 1976 et animé jusqu’en 2011 l’atelier de gravure de l’ENS Cachan où Françoise Pétrovitch a été étudiante pendant deux ans.