Critique d’art désabusé

On ne saurait trop recommander aux nouvelles générations d’artistes ou d’historiens d’art ainsi qu’aux amateurs d’art de tous âges, la lecture réjouissante et vivifiante de ce petit livre qui est passé presque inaperçu de bien des médias : « Journal d’un critique d’art désabusé » de Michel Ragon, aux éditions Albin Michel, Paris, 2013, ISBN 978-2-226-24854-1.

Né en 1924, Michel Ragon a été critique d’art et d’architecture, aussi écrivain lauréat du prix des lectrices du magazine Elle, du Goncourt du récit historique, etc. pour « Les mouchoirs rouges de Cholet » (1984), surtout promoteur des avant-gardes : COBRA, l’abstraction lyrique, etc. à une époque où les Beaux-arts n’étaient pas devenus aussi plastiques que la matière du même nom, encore fondateur de la revue Cimaise et collaborateur assidu de bien d’autres, etc. Une carrière bien remplie et à son âge, il est dans cet ouvrage encore plus libre de parole qu’il ne l’a jamais été.

Plus qu’un journal, comme son titre l’indique, sous-titré : 2009 – 2011, ce livre est bien plutôt un recueil de notes et de notules où défilent, de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, un panorama d’évènements artistiques et une saga des artistes qui les ont provoqués. Michel Ragon tresse ainsi, très souvent avec humour et pertinence, une chronique des Beaux-arts en France et dans le monde dont on appréciera, dans la brièveté de ses propos, la sûreté de son jugement esthétique et historique.

Voici, glanées dans ces deux cents pages, quelques-unes unes de ses courtes critiques toujours pleines de vivacité et d’esprit. En pages 28 et 29, en quelques lignes le sens de l’aventure COBRA ; en pages 37 et 38, l’amical, tendre et vineux portrait du bon géant Alexandre Calder ; en page 43, la flèche vacharde qu’il décoche à François Pinault ; en pages 96 à 104, une étude comparée des mérites architecturaux des présidents de la V° République française ; en pages 151 à 157, le roman picaresque de la courte vie d’Yves Klein ; enfin, en page 161 sa condamnation sans appel de l’art institutionnel contemporain qu’il faut citer dans son intégralité : « …Il faut dire qu’un art officiel s’était peu à peu institué en France, avec l’approbation du ministère de la Culture, du Centre Georges Pompidou et des musées de province phagocytés par les FRAC. Il s’était tissé sur tout le territoire un réseau culturel s’appropriant l’avant-garde, en faisant une avant-garde institutionnelle, comme il existe au Mexique un Parti révolutionnaire institutionnel installé à la tête de l’État et qui ne le lâche plus. Inutile de préciser que cette avant-garde institutionnelle, tout comme le PRI mexicain, n’a rien de révolutionnaire et a perdu tout esprit novateur… »

Ainsi, au cours de ses pages, le lecteur pourra-t-il s’attarder sur d’autres et nombreux protagonistes de ces aventures artistiques de la dernière moitié du XX° siècle et du début du XXI° siècle.

Ne cherchez pas dans les pages de ce journal le mot estampe. Il n’y figure pas, tant pour la génération contemporaine de Michel Ragon, les majeurs des Beaux-arts demeuraient la peinture, la sculpture et l’architecture, et, concernant la gravure, un des mineurs. Toutefois, en page 17, on trouvera une allusion à la perspicacité d’un graveur (sic), Aude de Kerros, à propos de l’art institutionnel contemporain. Quant au jugement de Michel Ragon sur l’estampe, on se reportera avec profit à son texte publié aux éditions du Cercle d’art à l’occasion de l’exposition, qui eut lieu à Strasbourg : « Le temps du papier » consacrée à l’œuvre gravé de Pierre Soulages, son ami de toujours.

Claude Bureau