Au cœur d’un festival

Château de Fontainebleau et affichette Japon
(Cl. Maïté Robin)

Piloté par la Direction générale des patrimoines au Ministère de la Culture, un grand festival est organisé chaque année par l’I.N.H.A. (Institut National d’Histoire de l’Art), établissement que l’on sait placé sous la double tutelle des ministères de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et de la Culture ; il est destiné à la promotion de la recherche scientifique en histoire de l’art. Écrin de l’événement : le château de Fontainebleau, support du volet culturel et pédagogique du Festival, avec une programmation dédiée au grand public, aux familles et aux scolaires. Pour le 10e anniversaire de l’événement, l’Édition 2021 avait pour thème le plaisir, celui des sens et de l’esprit, dans toutes ses amplitudes, et pour invité d’honneur le Japon.
En avant-propos, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, avait donné le ton : « L’histoire de l’art n’est pas une discipline réservée à quelques-uns. Grâce au Festival de l’histoire de l’art, qui attire un public toujours plus nombreux et diversifié, elle apparaît clairement comme un vecteur de connaissance, d’émancipation, d’ouverture et de plaisir, destinée à tous. Elle est aussi une porte ouverte sur d’autres cultures, d’autres époques et d’autres imaginaires. Elle invite à se couler dans le regard des autres sur le monde et offre la chance folle de la rencontre avec des chercheurs, des artistes, des architectes, tous absolument attachés à transmettre leurs savoirs et leur passion. »
Une manifestation qui, du 4 au 6 juin 2021, proposait près de 300 événements, sis en une quarantaine de lieux, avec nombre d’invités prestigieux, acteurs de l’histoire de l’art, historiens et artistes, des conférences, des débats et tables rondes, des projections, s’y ajoutant tout un périple sensoriel au pays du Soleil Levant. Tout cela en accès libre et gratuit, en présentiel ou en distantiel, un grand souffle d’apaisement après la période de confinement !

Quant à l’estampe, contemporaine et japonisante, elle était présente dans une programmation associée, où elle offrit au regard le talent d’invités notoires.
Tout d’abord, dans le salon d’honneur de l’hôtel de ville bellifontain, une exposition d’artistes japonais travaillant en France, montée par Anna Jeretic, professeure de gravure à l’Académie Comairas de Fontainebleau. Mises en valeur par un bel accrochage sur les cimaises, cinquante cinq œuvres, réparties non par le nom de leur auteur, mais par une correspondance visuelle ressentie par l’organisatrice, thème, couleur ou geste créateur. Une approche intéressante ! Certains noms nous sont familiers, pour les avoir exposés lors de notre biennale “Estamp’Art 77 2012, Floraison d’ailleurs”. Et de retrouver (ou découvrir) des “estampiers” comme, Akira Abé, Miyako Ito, Hiroe Katagiri, Akané Kirimura, Mika Shibu, Hiroko Yamamoto … Derrière plusieurs de ces artistes se devine la fréquentation de l’Atelier parisien “Contrepoint”, né de l’Atelier 17 cher à Stanley William Hayter (1901-1988), qui accueillit par le passé nombre d’artistes de renom… L’Atelier actuel, dirigé par Juan Valladares (1946-2019) puis par Hector Saunier, accueille aujourd’hui des artistes venant du monde entier, dont bien sûr du Japon.

Exposition Japon – Salon d’honneur de l’Hôtel de ville de Fontainebleau
(Cl. Gérard Robin)

Donc, une belle exposition, en accord avec le thème du Festival, pour laquelle je regretterai, – mais c’est une opinion toute personnelle -, qu’il n’y ait pas une représentation du principe général de l’estampe, et que la mention des techniques ne figure pas sous les œuvres. Cela pour aider le grand public à apprécier ce qu’il voit en découvrant les diverses techniques qui interviennent dans la création d’une image. Par contre la mention “plus” vient d’une hôtesse qui propose à l’arrivée, outre une feuille d’Anna Jeretic présentant les artistes, mais aussi une loupe pour apprécier la qualité du travail. Signalons enfin la présence de Yu Hirai qui, ajoutant à des linogravures, expose deux superbes photographies qui avoisinent deux livres d’artistes d’Akané en calligraphies.

Galerie L’Angélus – Mikio Watanabe
(Cl. Maïté Robin)

Ensuite dans la Galerie “L’Angélus, Séries” (34, Grande Rue – 77630 Barbizon), où le couple Hiam et Bachar Farhat accueille Mikio Watanabé, pour une exposition qui heureusement se prolongera jusqu’au 28 juin,
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, ce dont je doute que cela soit possible, il est l’un des grands maîtres de la manière noire, gagnant sa notoriété au travers d‘une vision de la nature sans artifices, en une belle célébration du vivant, du corps de la femme au vol des insectes. Sensualité et légèreté se conjuguent avec bonheur dans des représentations poétiques où Mikio exprime sa quête au travers de ces mots, rapportés dans le programme du festival et sa plaquette d’exposition : « Je suis persuadé qu’au cœur de toutes les choses existant dans ce monde, il y a quelque chose de très simple et pur… Cette pureté est par essence puissance et beauté. » La vision des œuvres en cimaises est porteuse de cette pensée. Mais ce qui passionne aussi est la rencontre de l’artiste en présence de ses créations graphiques, et la découverte de l’homme de passion qu’il est, un état d’être qu’il semble toutefois peiner à dévoiler, tant la simplicité et la retenue le nimbent. Son visage, affable et souriant, bordé du gris de la chevelure flottante et de la barbe nous feraient presque penser à une personnalité de l’ukiyo-e… Je me plais à l’imaginer en un Hokusaï qui serait fou de gravure ! Bien sûr, il maîtrise à la perfection la “mezzotinto”, où il faut apprivoiser le cuivre-miroir, le cribler avec subtilité et douceur, le marquer sans l’agresser, lui faire révéler les nuances picturales de sa grénelure ouvragée ou modulée, ce mystère des confrontations du geste, de la matière et de l’âme. Avec au delà l’apposition de l’encre, en alchimie brutale avec le motif et les fibres amoureuses du papier, de l’interposition peut-être d’une couche de Japon, utilisée comme rarement, tout cela sous la pression décisive de la presse. Que de mystères dans ce voyage au bout du savoir-faire et de la révélation picturale !

Mikio y excelle, mais, comme tout voyageur, il se révèle aussi être dans une recherche permanente, ici, au-delà de la “manière” même, tout en la respectant dans son principe. Pour exprimer toutes les subtilités que lui dictent ou imposent les images qu’il croise dans son imaginaire fécond et exigeant. Cela, pourquoi pas au travers du détournement réfléchi d’un élément de l’action globale. Ce qu’il se plait à dévoiler aux amis… Mais il est vrai qu’il ne suffit pas de savoir, pour s’approprier la démarche et atteindre le résultat désiré… Dans ses mains, du grand art, tout simplement. Et que le temps passe vite avec un artiste de cette qualité ! Retenez cette présence Barbizonaise, en face de la maison atelier Jean-François Millet, intitulée : ”Mikio Watanabé, éphémère immortel”.

Gérard Robin