André Béguin (1927-2021)

Dans la suite des tristesses automnales, nous devons compter le décès d’André Béguin, survenu le 24 septembre à Paris. Il était âgé de 94 ans, étant né à Blois le 28 avril 1927. Une cérémonie religieuse a réuni vendredi 1er octobre à Saint-Pierre-de-Montrouge son épouse Odile, sa famille relativement nombreuse, et des amis dont quelques-uns du monde de l’estampe. Ses fils Frédéric et Christophe lui ont rendu un bref mais émouvant hommage. Il a été inhumé le même jour au cimetière Montparnasse. André Béguin était membre du Comité national de l’estampe, et fut pendant un temps président de l’association La Jeune gravure contemporaine.

Ceux d’entre nous qui ne le connaissaient pas personnellement avaient au moins eu entre les mains son toujours utile Dictionnaire technique de l’estampe (je me flatte d’en avoir dans ma bibliothèque un exemplaire dédicacé du 16 décembre 1977) entièrement écrit à la main de sa belle manière dont mon ami Marc Smith, grand historien de l’écriture, estime « qu’on pourrait dire que c’est une interprétation de l’écriture italique (telle qu’on la pratique notamment en Angleterre), caractérisée entre autres par l’usage de la plume large. Une italique redressée si on veut ». Mais une écriture originale tout de même, ce qui ne nous surprend pas de la part de notre ami, moins en tout cas que le procédé, qui lui a demandé une patience digne des légendaires bénédictins.

André Béguin, Captif comme un ballon peut l’être,
eau-forte avec vernis mou, 100 x 150 mm, 1971

André était parfaitement à l’aise avec les techniques de l’estampe. Il les a un moment enseignées à l’École du Louvre. Lui-même, en tant que graveur, était un technicien hors pair, ce dont témoignent les tailles-douces qu’il a produites tant qu’il a bien voulu graver. (Je n’ai d’ailleurs pas compris, et je ne suis pas le seul, pourquoi il avait abandonné l’art de graver pour lequel il avait manifesté tant de talent.) Il en a déposé une quarantaine au Département des estampes de la BnF, où j’ai pris les médiocres clichés ci-joints, ainsi qu’un catalogue raisonné de son travail(que je n’ai pas consulté).

André avait la fibre de la pédagogie, d’où le Dictionnaire technique de l’estampe déjà cité (dont il existe une version anglaise, A Technical dictionary of print making, translation by Allen J. Grieco, 1981-1984), mais encore un Dictionnaire technique et critique du dessin publié en 1978 à Bruxelles, le tout précédé en 1975 de L’Aquatinte à l’aérographe : nouveau procédé de gravure au grain (édition réalisée par l’auteur en sérigraphie manuelle, qu’il utilisera de nouveau pour ses dictionnaires, avec sa version anglaise : A treatise on aquatint : including a new airbush technique for graining etchings ; transl. by Allen J. Grieco and Sara F. Matthews-Grieco, 1999), ainsi qu’un Dictionnaire technique de la peinture en 1982.

Ce que j’ignorais absolument, c’est que ce polygraphe invétéré autant que modeste avait aussi publié en 1994, chez Gallimard, hors des sentiers de l’estampe, un roman de plus de 450 pages intitulé Le concerto d’Elgar, dont le thème ― selon Wikipedia qui donne un article très développé sur André ―, est la difficulté de la création chez l’artiste. Je n’ai pas lu ce roman, pas plus que les pièces de théâtre qui sont venues sous sa plume en 1998 : La cohabitation : comédie en deux actes, et Pauvre diable ! ou Le tibia de Saint-Genou : farce en trois actes.

André Béguin, Systématisation de la souche,
pointe sèche et burin, 240 x 180 mm, 1992

J’avoue, ne l’ayant pas davantage lu, ignorer dans quelle catégorie placer un Entretien avec Madame la Ministre également daté de 1998, si c’est dans la comédie, la tragédie ou ailleurs.

Son appartement boutique (de fournitures pour l’estampe) de la rue Danville, affluent de la rue Daguerre dans le 14e arrondissement de Paris, a souvent servi de galerie ― je me rappelle une exposition des estampes de Jeong-Dih Yang et de Castex, par exemple, mais il y en eut bien d’autres.

Puis il nous est apparu soudainement, avec quelque surprise, qu’André avait changé de cap, se découvrant ou exprimant enfin une passion débordante pour la guerre franco-prussienne de 1870. D’où la publication en 2016 d’un Mémento pour l’étude de la guerre de 1870-1871 en 215 p. in-4° ; en 2017 d’un copieux volume de 535 p. sur La bataille de Sedan : 1er septembre 1870, avec une préface de mon illustre confrère Jean Tulard, ce qui n’est pas rien ; et en 2018 de La demande de garanties : 12 juillet-19 juillet (Origines de la guerre de 1870), 445 p. Et le dernier ouvrage qu’il m’a adressé, le 18 mars dernier, est une écrasante revue de presse de la première quinzaine de juillet 1870, un peu avant le désastre de Sedan : Cette guerre qu’on nous offre. Comment, du 2 au 15 juillet 1870, les journaux ont vu arriver la guerre, en 240 p. in-4°.

André Béguin, Le Vieux chêne, pointe sèche, 120 x 90 mm, 1988

André avait l’œil clair, le regard franc et direct. Je pense à lui avec amitié.

Maxime Préaud

(Les photographies d’André m’ont été fournies par son épouse et leurs fils. Merci beaucoup.)